VI 6 - Désordre et maniaquerie

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Quand la maîtresse avait dit entendre les pas des garçons dans l'escalier, je n'avais pas compris de quoi elle parlait : je n'avais pas remarqué la présence de l'escalier dans l'école. D'un autre côté, il était logique qu'il y en eût un, étant donné que le couloir du rez-de-chaussée ne desservait que les deux classes de cours préparatoire, une à chaque extrémité ; les autres classes de l'école étant situées en étage.

De ce qui précède, nous pouvons également déduire qu'en étage se trouvait l'infirmerie commune aux deux écoles primaires. Les garçons la visitèrent avant nous. Moi, je connaissais juste le rez-de-chaussée avec le hall d'entrée et le bureau de la directrice, à droite en entrant ; en face, la porte d'accès à la cour de récréation ; à gauche, le couloir qui menait à notre classe ; à droite, le couloir qui menait à l'autre classe.

Lorsqu'au moment de la récréation, nous sortîmes de la classe, je demandai à la maîtresse de m'indiquer ce fameux escalier ; ce qu'elle fit. Il était juste derrière moi, juste à proximité de la porte d'entrée de notre classe. Je le regardai bêtement, genre : « il était pas là, t't'à l'heure ! »

La maîtresse avait une tout autre préoccupation à l'esprit. Trois garçons étaient debout dans le couloir, à hauteur du hall d'entrée. La maîtresse remarqua qu'ils étaient là tous seuls, sans adulte pour les tenir ou les surveiller.

Ils attendaient bien sagement, le long du mur, sans bruit ni chahut mais, ça, c'est un détail dont il sembla que la maîtresse ne se fût pas rendu compte.

Pour atteindre la porte d'accès à la cour de récréation, il fallait que nous passassions à côté de ces trois garçons. Cela inquiétait fortement la maîtresse qui y voyait une menace pour nous autres, pauvres petites filles. Que faire ?

Déjà, en temps normal, elle n'était pas capable de nous laisser traverser le couloir - de la cour à la classe et vice versa - en marchant normalement. Une stupide obsession de l'ordre la conduisait à toujours nous obliger à faire ce trajet en rang, en se tenant la main deux par deux. Je lui avais déjà signalé que cela me posait un problème : à être ainsi forcée de toujours marcher main dans la main avec une étrangère, je me sentais salie. Il fallait, quand même, que je continuasse à obéir à l'exigence de la maîtresse et que j'attendisse, confiante, qu'elle réparât le préjudice qui en découlait.

Ayant vu les trois garçons qui attendaient dans le couloir, le long du mur, près du hall, la maîtresse nous demanda d'aller jusque dans la cour en longeant le mur opposé, afin de nous tenir le plus loin possible de ces garçons.

Quelques filles jouèrent le jeu de la maîtresse : elles s'aplatirent contre le mur en regardant les garçons comme s'ils étaient des pestiférés qu'il fallait éviter à tout prix.

Cela était parfaitement ridicule : avant les grandes vacances, en maternelle, ces filles avaient été avec moi dans la même classe que ces garçons ; les avaient coudoyés nonchalamment toute une année. Alors, pourquoi, tout à coup, réagir de la sorte en les voyant ? Ça n'avait pas de sens ! En plus, j'voudrais pas dire mais c'était malpoli vis-à-vis d'eux.

Les autres filles de ma classe, pour obéir à la maîtresse, suivirent les premières en se rapprochant du mur. Moi, pas. Je levai la main et demandai à la maîtresse, genre :

« C'est obligé de longer le mur et de faire semblant d'avoir peur des garçons ? »

Voyant que je la tournais en dérision, la maîtresse se débrouilla pour retomber sur ses pieds et me mettre, à mon tour, en difficulté :

« Ah !... non... tu n'es pas obligée d'avoir peur des garçons... mais si tu marches au milieu du couloir, tu entraînes avec toi ta camarade qui te tient la main. Tu lui as demandé si elle était d'accord ? »

À ce moment-là, je ressentis comme une espèce de boule qui me faisait mal dans la gorge. Ça me faisait toujours ça quand j'étais en colère et qu'il valait mieux que je la fermasse.

Déterminée, je me positionnai en plein milieu du couloir, sans rien demander à personne. Advienne que pourra ! De toute façon, ce n'étaient pas que de simples garçons : il était là, je l'avais repéré tout de suite avec ses boucles blondes. Il fallait que je lui parlasse. 

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant