Je connais deux sortes de rêves : les petits et les grands.
Un petit rêve, c'est un rêve qui dure une seule nuit ; voire juste une partie de la nuit. D'ailleurs, un rêve qui dure toute la nuit, de bout en bout, de l'endormissement jusqu'au réveil, c'est plutôt rare (mais ça n'en reste pas moins un petit rêve).
Un petit rêve, ça ne veut pas dire un rêve sans importance. Après, tout dépend du message qu'il dispense, de son aptitude à frapper la mémoire et à parler à l'intellect. Mon rêve du roi Hérode, c'était un petit rêve.
Un grand rêve, c'est un rêve qui se poursuit au fil des nuits. Il ne se contente pas de délivrer quelques images à la manière d'un messager voyageur. Il séjourne ; il s'imprime dans la tête, qu'on y fasse attention ou pas ; il s'impose ; il revient ; il reste. Il est là, on vit avec.
Combien de fois ai-je rêvé que j'apprenais à voler ! Je m'élançais, les bras en croix, du haut des escaliers et je les dévalais en évitant de poser les pieds sur les marches.
Au fil des nuits, j'y arrivais de mieux en mieux. À force d'entraînement, j'acquis une telle aisance que je me sentis prête à voler pour de vrai.
Heu ! Ça ne se peut pas, pour de vrai.
C'était quand j'avais cinq ans et demi. Ce matin-là - comme souvent, le matin - il avait été prévu que j'allasse à l'école maternelle. Maman était en train de fermer la porte de l'appartement et moi, je l'attendais sur le pallier, en haut des escaliers.
« C'est maintenant ou jamais ! »
Je savais que ça ne se pouvait pas pour de vrai mais mon rêve m'avait rendu la chose si familière ; je m'étais si bien entraînée...
Comme j'étais une fille prudente, intelligente, obéissante... et trouillarde, j'attendis bien sagement que Maman me rejoignît et lui demandai :
« Qu'est-ce t'en penses ? Si je me jette dans l'escalier en écartant, bien fort, mes bras de chaque côté, tu crois que je vais voler ? »
M'ayant répondu par la négative, Maman me fit descendre les escaliers en me tenant très fermement la main, comme si elle doutait que je fusse une fille prudente, intelligente, obéissante... ce qui eut le don de m'énerver.
Le pire, c'est qu'après, ça recommença : mon rêve revenait si souvent, la nuit, qu'il raviva de plus en plus fortement en moi le doute et l'envie d'essayer pour de vrai.
Si bien qu'y réfléchissant, un jour, j'étais sortie de ma chambre et j'étais allée voir ma mère, dans la cuisine, pour lui faire la promesse d'attendre sa permission pour me jeter dans l'escalier comme dans mon rêve (ce qui avait bien fait marrer mon grand frère qui se trouvait là).
Quelques jours - quelques semaines - plus tard, Maman me parla du syndrome de Superman : il paraît qu'il arrive parfois qu'un petit enfant, croyant pouvoir voler, attende que ses parents aient le dos tourné, se jette par la fenêtre de sa chambre - ou de la salle à manger - et se tue en s'écrasant sur le sol. Dans ces cas-là, il paraît encore que son papa et sa maman ne le rattrapent pas en plein vol et ne le sortent pas, non plus, de la mort après coup. Ce n'est pas pour le punir, c'est parce qu'ils n'en ont pas le pouvoir - tout comme les enfants n'ont pas le pouvoir de voler.
Aucun détail de cette explication ne me fut superflu.
Mon rêve continuant encore à me tarauder, je pris la décision qui me semblait la plus intelligente : j'étendis mes bras de chaque côté, me concentrai le plus fort que je pus sur mon pouvoir de voler et me jetai... au-dessus de mon lit. Chaque fois que mon rêve ravivait le doute, je réitérais l'expérience, jusqu'à ce que j'obtinsse la certitude inébranlable que je ne pouvais voler qu'en rêve.
Tout ça pour dire l'impact que peuvent avoir les grands rêves.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?