L'un des rêves les plus régressifs et inavouables du mâle « classique » (mais s'agit-il du rêve du mâle universel ?) est d'avoir toute la nuit une femme à ses entiers service et disposition, non tant pour s'en servir sexuellement avec éreintement que pour s'y vautrer en délices puérils au mépris de toute considération de sensibilité humaine, ainsi qu'on ferait en secret mais sans honte d'une peluche plaisante et féminine, maternelle et négligeable, comme une esclave sans valeur et néanmoins infiniment précieuse.
C'est peut-être même le désir au fondement de toute possession masculine : que ce soit pour se défouler ou se réconforter, avoir une être fragile et servile, là, destinée à la satisfaction de soi-homme, attentive à son bien-être égoïste, qu'il peut chasser si elle lui devient importune, sur laquelle il s'étend ou qu'il agrippe, contre laquelle il pleure ou qu'il bouscule, qu'il berce ou par laquelle il se console, dont les cheveux font un tissu respirable à volonté, et la cuisse un coussin sauve, la main un jeu calme dans l'ombre et le silence, la respiration un accessoire de présence qu'il peut contrôler ou oublier. S'enfoncer en odeurs de femme et en chairs tièdes, les repousser lorsqu'elles gênent, les retrouver, au sortir d'un cycle de sommeil, encore prêtes et penchées, y porter ardeur ou dédain, et, mu d'une rage enténébrée, recouvrir à l'envie ce corps sans soin comme vases, y glisser le sexe, et peut-être, par le déni hautain d'une être tendrement docile, s'endormir dedans sans avoir joui, se sentir sombrer dans le rêve attaché par en bas, et plus tard, au gré d'un des déplacements fauves qui font les roulis vaporeux de la nuit, se sentir par hasard agréablement séparer de la femme encore là, immobile et douce ; s'évanouir encore, content comme une bête, et sûr de soi, maître enfin.
Aucun plaisir mâle probablement ne se mesure à cette animalité virile et ignoble – c'est pourquoi, je crois, personne n'en a parlé, trop masculin et déshonorant, trop « bas » pour de la poésie et trop vrai pour de la littérature. L'abandon lourd et grossier de ce dominateur satisfait, l'assouvissement de ses caprices sensibles ou durs, la soumission de la femme dont la conquête réclame d'ordinaire tant d'accaparement, la confiance en son acquisition comme base à désirer enfin autre chose au-delà de la simple femelle, et la puissance procurée par ce fonds qu'on peut retrouver à loisir pour assouvir pleinement ses humeurs changeantes et spontanées : ô suprême exaucement de brute, comble d'une extase solide, durable et, en quelque chose, épanouissante ! Un homme qui obtient une telle supériorité inconditionnelle peut assurément oser conquérir le monde, car il dispose à domicile de quoi assurer ses plaisirs aussi bien instinctifs qu'élaborés, alors qu'importe s'il échoue certains jours à circonvenir l'univers, il contient lui-même presque tout l'universdes jouissances, et reçoit la certitude d'atteindre à une apothéose chaque fois qu'il retourne à sa couche : sa volonté rechargée le relancera demain pour un nouveau combat, car il est vainqueur cette nuit encore, et son inlassable hégémonie le rassure et l'encourage bientôt à des triomphes supérieurs.