Préjugés du sexe - making of

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On a confondu chez le mâle l'air brutal de volupté ahurie qu'il affiche dans le sexe en son entraînement fauve (ou faune !) avec quelque disposition « systématique » au viol où il ne lui manquerait que l'opportunité d'un instant pour assouvir ses « penchants néfastes ». Que l'homme, dans le rut, soit plus ou moins possédé par un esprit primal – ce qui, en général, est plutôt à ce moment précis pour flatter son amante que pour l'effrayer –, ce ne signifie pas qu'il se mettrait en tel état pour toutes les femmes qu'il rencontre quelle que soit leur volonté, ni que dans cet état il serait avec n'importe qui irrémédiablement destiné à pouvoir jouir. D'ailleurs, recherche-t-il bien cet état ? Ce n'est pas tant cette bestialité qu'il convoite que la complicité de celle qui l'accepte et l'approuve dans cet état, au même titre que la femme ne projette pas d'écarter les jambes ou de pousser des gémissements mais de le faire en présence d'un homme qui la trouve ainsi belle et désirable. La destination de la sexualité mâle n'est pas la violence, et la destination de la sexualité femelle n'est pas la soumission, mais ce sont des modalités de la sexualité normale qu'on goûte grâce au consentement et à l'approbation d'un partenaire. Pour le dire autrement, en général l'homme ne se branle pas avec une brutalité vorace, et la femme ne se masturbe pas en écartant grand les cuisses : ces postures ne se réalisent qu'à condition d'une mutualité, qui est ce qui excite dans la sexualité plurielle.

Il suffit à la femme d'essayer si elle veut assez cruellement tenter l'expérience : qu'elle réclame à son amant d'arrêter le sexe au cœur de son plaisir, sur un prétexte quelconque comme la douleur ou le mal-être. On trouvera alors combien l'homme a besoin de sa complicité pour assouvir ce qui seulement de loin s'apparente à un viol égoïste, musclé et hargneux. Il y a, de l'apparente violence à une coercition réelle, une confusion qui est issue de similitudes entre la naturalité qu'on permet sous témoin parce que le partenaire y autorise et même incite – regard approbateur contribuant au plaisir – et ce que voudrait exprimer l'homme avec n'importe quelle femme, fussent des rétives ou des enfants, non seulement s'il n'y était enjoint par personne mais contre la volonté du témoin, donc de la victime. Autant croire que, au prétexte que la femme gémit pendant le sexe, la femme est par principe ou par nature un être qui veut gémir devant toutes sortes de gens, y compris ceux qui en sont gênés et qu'elle voudrait forcer à l'entendre. L'homme, pareillement, n'est pas prédestiné à tirer sa jouissance d'une autorité péremptoire ou d'un refus outragé : il n'existe, je crois, aucun tempérament viril qui, en-dehors des fantasmes mêlés des partenaires, ne pousse à prendre plaisir à blesser, ou à contraindre à des débattements, ou à assister à des terreurs. Le plaisir « d'investir », certes inhérent à l'homme, ne passe pas par le souhait de s'introduire sans distinction et de forcer tous les passages ; au même titre, le plaisir foncier de la sensation interne du phallus n'incite pas les femmes à s'insérer n'importe quoi dans le vagin.

Le viol n'est donc pas davantage dans la nature de l'homme que dans celle de la femme. Tout ceci est réducteur et humiliant, stupide et racoleur, fait surtout pour asseoir une image de certitude outrée et usurpée, et pour simplifier la réalité à la mesure de sa capacité de pensée. La plupart des hommes devinent d'emblée combien il doit être à la fois incommode, dangereux et pénible de violer une femme. Même, la condition nécessaire du plaisir masculin en ce crime serait d'imaginer que la victime y prend plaisir, de convertir ainsi ses vraies défenses en fausses volontés, c'est-à-dire qu'il y faut l'oblitération de la réalité et son adultération, ce qui implique à la fois une forte autopersuasion simultanément à la quantité de mouvements difficiles qu'il faut alors dépenser, et surtout une certaine faculté d'imagination, quelque sorte d'hallucination volontaire dont je ne vois guère pourquoi son détenteur ne se satisferait pas d'y recourir en sa sexualité solitaire : je veux dire que si un homme est capable de se suggérer l'absurdité de la conversion d'une douleur en extase tout en commettant un viol, c'est-à-dire de se former de telles images excitantes à partir des malaises de sa victime contre ce qu'il observe et constate, alors la réalité a peu d'intérêt pour lui et il peut tout aussi bien se branler sur des fantasmes qui n'existent point. Cette observation n'est pas pour nier celles qui ont été agressées : on sait que tout arrive, et bien des déviations mentales provoquent le goût schizophrénique de s'inventer des illusions mises en rapport avec des phénomènes, mais c'est pour affirmer qu'au lieu d'un homme normal, il faut des cas très particuliers pour qu'un viol se concrétise. Par ailleurs, la violence relative, vaguement semblable à un viol, qui figure dans les actes de l'amant et dans le désir de l'amante, et qui fait croire que l'homme n'est pas loin d'y prétendre, est sans rapport avec une pulsion de viol réel. Il ne faut pas s'y méprendre : autrement, il faudrait équitablement croire que l'homme aspire à violer autant que la femme à être violée. L'idée plaisante du viol, ce »viol » ainsi que je l'ai expliqué ailleurs, est presque sans rapport avec sa réalité. Il ne s'agit pas, dans le couple libéré, d'infliger ou d'endurer la douleur, mais d'exacerber des activité et passivité agréables à l'un et à l'autre, où s'exprime un simulacre de contrainte, rien davantage. Même alors dans ces mises en scène – affectations de gifles, d'immobilisation, d'étranglement, de liens, de multitude, etc. – la moindre expression de douleur indésirée et véritable rappellerait aussitôt aux amants le souci qu'ils ont de ne nuire à personne et mettrait fin aussitôt au jeu avec effarement et contrition. Ce ne sont pas des viols que les amants souhaitent vivre c'est-à-dire pas de la souffrance sous une recherche exclusive d'un plaisir unilatéral, ce sont des postures mutuellement consenties où ils exagèrent leurs positions naturelles, la vivacité possessive pour l'un et la facilitation exhalée pour l'autre.

HormisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant