Secret de la Vie - addendum - making of

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Ce qui a entretenu la pensée fausse qu'un homme pouvait mourir c'est-à-dire qu'il existe un processus graduel par lequel on passe de vie à trépas, ce n'est pas tant, je pense, les marques du vieillissement et de la décrépitude, car de tels symptômes sur les objets ne font pas croire qu'un meuble délabré ou qu'un aliment pourri, au prétexte qu'il est vieux, reste pour l'homme un meuble et un aliment, je veux dire qu'aussitôt qu'un meuble ne peut plus servir à ranger des affaires ou un aliment à manger ils perdent leur qualité essentielle et cessent, faute de propriété, d'être meuble ou aliment. Ils ne sont que planches ou que compost sans qu'on trouve nécessaire d'indiquer qu'ils le sont « devenus », sans rappeler leur ancienne destination et les attributs qui leur font aujourd'hui défaut, sans qu'à la vue d'une pièce de bois équarri ou d'un confus amas de pourriture on se soucie s'il s'agissait avant d'un meuble ou d'un aliment : nul ne regarde des planches vermoulues en songeant : « C'est une commode Louis-XVI morte ! » et personne ne voit un amas de matières moisies en se disant : « C'est un ananas caraïbéen décédé ! ». Si un trait ou un caractère principal manque à une chose par lequel il est censé la définir, il n'apparaît à personne que cette chose gagne à être désignée sous un titre qui nécessite justement ce trait ou ce caractère : si les planches ne sont pas assemblées ce n'a simplement rien à voir avec un meuble, si la matière est décomposée ce n'a rien à voir avec un aliment, au même titre qu'un ordinateur n'a rien à voir avec une maison, et ce, bien qu'en empilant des milliers d' ordinateurs on puisse en théorie concevoir un abri et même un palais. Ainsi, un mort n'a rien à voir avec un homme, parce que le propre de l'homme est la vie, bien qu'en théorie on puisse insuffler de la vie dans un cadavre comme Frankenstein chez Shelley, mais c'est une théorie tant abstraite que si elle peut servir à former un paradigme nouveau elle ne mérite quand même pas de créer un amalgame dans le langage courant – autant parler d'ordinateur-de-construction que d'homme mort. Parce qu'on a constaté qu'il y avait une antériorité de l'homme à la mort, autrement dit qu'il y avait un homme d'abord et ensuite un mort, on a fabriqué cette aberration aporétique : un homme mort. Or, que dirait-on d'un arbre si, après l'avoir brûlé, on constatait qu'il n'y avait plus que de la cendre : appellerait-on ce résidu « arbre cendré » ?! Mais que reste-il de l'arbre pour lui prêter encore ce substantif ? Parce qu'il y a eu la Pangée, puis des continents séparés, puis des nations et des villes, parle-t-on de Pangée-Paris pour désigner la capitale française ?!

Non, bien sûr – et je ne m'excuse pas de pousser la comparaison un peu loin pour faire entendre ce qu'il y a de saugrenu à appeler « homme » un corps ou le principal de l'homme est absent. La logique décèle ainsi l'erreur et rétablit la vérité, même si ses conclusions s'opposent à des habitudes répandues et nuisent provisoirement à la communication humaine tant que les humains se trompent et continuent d'user de termes inappropriés. On ne devrait pas être assigné à des proverbes au prétexte qu'ils sont commodes à se faire comprendre. C'est en particulier le participe passé qui est fallacieux dans : « Mon père est mort » : pour que la phrase soit juste, il faut y entendre : « Mon père est un mort » et non : « Mon père est devenu mort » ; et si je devine qu'il est ardu d'y trouver un substitut dès qu'on vous demande : « Comment va votre père ? », il faut pourtant en chercher. Je sens bien que : « Mon père n'est plus », est une tournure qui ne donne pas entière satisfaction, emphatique, maniérée, qui surtout n'est pas complètement clair, sans doute...

À mon avis, ce qui a opéré cette confusion passée en lexique et que le lexique lui-même imprègne et perpétue en l'humanité, confusion qu'on peut résumer par la pensée qu'un homme qui est intrinsèquement Vie puisse « devenir » mort et conserver, même quand il n'est plus, le titre d'homme, c'est une somme d'opérations psychologiques parconservation de routines et par maintien de connotations, permettant de se conserver un confort-facilité ; voilà comme je l'explique et détaille :

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