Je crois que réside en la jouissance féminine une volonté supplémentaire à la masculine : c'est, dans les gestes de vigueur que l'homme exécute, le désir de s'approprier sa force physique tout en en endurant les manifestations corporelles.
Une femme ne peut échapper, il me semble, à quelque espèce de domination dans les façons dont son partenaire la prend ; or, plutôt que de s'en plaindre puisque cet état de fait est à peu près inévitable compte tenu des anatomies, elle tend à s'en satisfaire en apposant à ce qui évoque des coups une « morale » dont elle s'imprègne positivement. Par exemple, son homme s'énerve, éructe, fond durement en elle, on dirait presque qu'il la bat : loin de s'en offusquer, elle peut trouver qu'elle suscite en lui une envie qui fait hommage à sa sensualité, que c'est une manière d'amour qu'elle provoque avec ces élans, et que la fureur sexuelle qu'elle endure est la condition même de l'échauffement durable de son propre plaisir.
Un autre moyen pour elle de vivre agréablement ces assauts consiste à s'incarner dans la virilité au point de fusionner avec l'altérité masculine, au même titre qu'il arrive à l'homme d'aimer à se figurer le plaisir passivement reçu plutôt que donné avec effort. Elle se met alors à l'admirer pour la puissance inaccessible qu'il contient et qu'elle vit jusque dans son corps : comme la disparité est toujours chez l'être hétérosexuel une source de curiosité amoureuse, elle constate concrètement ce dont elle est moins pourvue, la musculature, l'endurance, la décision conquérante et l'espèce d'esprit possessif qui se rapporte à l'impudeur active, et, sincérité ou intérêt, elle se sent gagnée par cet atout qui la subjugue, dont elle vibre anatomiquement, en fusion qui, à cet instant, la croit rendre intimement compréhensive des atouts mâles si différents de sa naturalité. Pendant qu'elle endure les sévices délicieux qu'il plaît à l'amant impérieux de lui infliger, elle songe en somme : « Comme il me prend bien, brutalement ! Quel homme âpre et solide, musculeux ! Quelle chance pour moi qu'il possède la virilité propre à son sexe et en soit une incarnation si tranchée ! Comme je vis et éprouve sa virilité ! », et, ou qu'elle se console du traitement qu'elle doit recevoir, ou qu'elle s'en félicite de manière spontanée, elle trouve cette satisfaction pour son estime-de-soi à concevoir une vertu supplémentaire dans la sexualité et à reconnaître dans la violence qu'elle subit une justification à son abandon.
On peut penser que cette considération, qu'elle soit factice ou authentique, est en effet une source de plaisir suprême : c'est qu'aussitôt qu'on prend la démonstration d'une puissance comme intense supériorité, on reçoit les témoignages de force avec le bonheur d'une désirable alliance, et, mêlées avec le plaisir organique, chaque contrainte qui vous comprime jusqu'en l'intimité de vos chairs font l'effet d'une confirmation d'altérité. C'est bien quelqu'und'autre qui vous possède, et cet autre disposant des qualités qui vous manquent, cela renforce en vous le sentiment d'indignité et de chance : vous êtes avec la bonne personne, qui vous complète et vous dépasse, comment ne pas le sentir dans la vibration de votre corps heurté par le transfert empathique qu'un tel athlétisme vous oblige à réaliser ? Non pas vous pensez mais vous sentez cette distinction : c'est le bénéfice que la sexualité présente avec ostentation, qu'au cœur du plaisir physique vous êtes forcée de vivre aussi le plaisir d'être le mâle qui vous assaille. Pure osmose de la femme : « Je suis prise et à quelque degré je me sens prendre aussi ; je suis double de me savoir prise sans cesser de constater la distance avec celui qui me prend ; je puis minauder en femme qui se sait conquise et me sentir désirable sous les chocs, cependant éprouver par ces chocs qui résonnent en moi combien me commande celui qui les donne auquel je m'abandonne en juste docilité. » Un homme a peut-être moins l'avantage de sentir ce plaisir double, car il est alors très occupé, c'est un labeur qui réclame une énergie qui peut ne lui laisser guère de place à des représentations, tout au mieux il se figure, mais par intervalles courts et s'il est bon amant, être cette femme qui doit jouir, mais plutôt à dessein de deviner comme il faut agir pour la combler que pour s'abandonner à son propre orgasme, car l'illusion ne peut prendre au point qu'il se sentirait s'infliger à lui-même ce qu'il donne avec tant de travail.
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Sur le poème à l'origine de cet article, on voudra me demander peut-être : « Mais où est le reste du sonnet que ces deux quatrains introduisent ? » Je réponds : le sonnet dont vous parlez n'est pas, ce sonnet n'a jamais été, il n'a simplement pas de raison d'être, tout est dit avant les tercets dont je n'eusse fait qu'une décoration pour l'effet de clausule. On est parfois si stylé, si rompu à des usages, qu'on tend à vouloir finir une phrase suffisante seule au prétexte qu'on a connu d'autres phrases semblables plus longues et qui finissaient sans intérêt supplémentaire. Je l'ai déclaré : je me moque de me conformer désormais à des rites, et, comme on peut voir, il en va aussi des rimes qu'on me reprochera, dont je ne conserve que le principe mélodieux mais que je déforme par volonté secondaire de m'en moquer selon le procédé tant usité de la rime-pour-l'œil. Je suis poète ergo je ne feins pas le poète. N'allons pas moins loin, moins profond, que le sentiment et la sensation : ne soyons pas décorateurs, il y a trop de fausseté et d'horreur dans la poésie pour que nous devenions nous-mêmes – des doreurs !