On peut mener dans la sexualité une espèce particulière de performance rivale, un jeu aux règles tacites, un défi où se mêlent une sorte de douce hargne attentive et une sensualité presque sadique :
C'est à celui des deux qui, mutuellement tâchant de se prodiguer du plaisir, figera l'autre dans l'attention intime de sa trop bonne montée.
Compétition perverse et subtile où il ne s'agit surtout pas de surprendre par des frénésies défoulées, violentes et presque douloureuses – on peut facilement faire jouir, surtout un homme, par des rythmes vigoureux, des cadences mécaniques, des décisions dures. Mais non : en guise de préliminaires, que chaque amant livre la prestation d'une très fine, irrésistible et langoureuse tentation, par contacts sélectionnés, méthodiques, experts, jusqu'à ce que l'un des deux laisse aller sa volonté vaincue et se rende à l'invocation du plaisir-bouffée. Le toucher doit mener non à l'orgasme mais à l'irrépressible écoute de son corps, au point de faire comme oublier l'action qu'on désirait accomplir sur celui d'autrui, au point de créer cette mentalité d'égocentrisme où la physiologie des sens l'emporte sur sa résolution au devoir : sensation contre sentiment. Il s'agit que l'autre disparaisse en sa propre extase jusqu'à oublier celle qu'il tâchait de procurer. Alter ego : le moi du bien-être a pris toute la place sur le moi du don-de-soi.
Or, voici le stade délicieux, psychologique, envoûtant et peu simulable qu'on rencontre aussi en certains pornos : la femme veut, tendue contre une bite, sucer ou branler encore, aspire à ce pouvoir, ambitionne ce sacrifice et cette ferveur qui la flattent, se dévoue à cet usage d'elle-même, mais comme l'homme s'occupe trop bien d'elle d'autre part, sa main s'arrête, sa bouche ouverte a cessé son va-et-vient, sa respiration se coupe, des suées lui montent, une hébétude la saisit, elle ne contrôle pas l'envie de ressentir malgré le souhait de donner et d'agir, la prêtresse, la vestale pour le mâle, la bonne sensuelle adoratrice de plaisir succombe et ne peut plus rendre son ministère, elle se paralyse dans l'intériorité de son délice, glissement, frottement, invasion et ampleur la conquièrent, elle hésite, est touchée, son regard se vide comme une fille atteinte, percée, aboutie, elle scrute en elle le bonheur extraordinaire de la poussée, mesure malgré elle la taille et l'emplacement et la pression, ses cuisses sentent la tension de la venue, ses instincts femelles la placent, cul et hanches, tout en elle est innervée d'une puissance contre quoi lutter est trop indésirable pour rester possible, elle est sise entièrement, renversée et assiégée, l'espace d'un moment, dans la contemplation de son sexe manié, palpé, gonflé, dans ce qu'on lui fait et qui ne laisse aucune place à son faire, dans ce qu'on lui excite et inflige et qu'elle ne peut plus qu'éprouver, dans l'observation de tout ce qu'il y a d'intrinsèquement chatte en elle.
Autant dire : elle a temporairement perdu cette compétition amoureuse ! – ô défaites qui sont comme des apothéoses !
Puis on la voit alors s'ébranler, se secouer, s'ébrouer de son oubli temporaire, avec une résolution encore baignée de rêve qui ressemble à une bravoure, c'est quelque chose qui résiste en elle, qui ne veut pas se laisser convertir, qui tâche à regagner une certaine raison et un désir de domination, et puis, quoique sans se retenir d'entendre en loin la palpation assourdie de son plaisir qu'elle s'efforce de ressentir moindre en s'y figurant une monotonie qu'elle invente mal, elle se décide, perpétuellement, il faut, elle ne doit pas ainsi se laisser happer, elle reprend d'une main affermie la queue qu'elle tenait à la base et qu'elle avait laissée élevée vers sa bouche, et, d'un souffle énervé ou abandonné, d'exaspération pleine et profonde, elle réorganise ses baisers et ses enfournées, et pour un temps retourne un peu mécaniquement à son ouvrage, avalant loin ou contourant le gland avec une science de rectitude, remprise par une volonté de travail qui s'accorde mal à la satisfaction qu'elle prend encore et qu'elle veut rendre, bien décidée à ne pas écouter son sexe et ce qui s'y passe, y conservant pourtant une sensibilité qui n'est atténuée et négligée que par un effet de volonté très provisoire, et elle finira par empaler ses lèvres sur cette queue avec une suavité tendre et humide, lubrique et affolante, qui s'accordera mieux à l'état qu'elle retrouve par degré et que sa sucée provoque, tandis que dans ses yeux la lascivité revient, les pensées obscènes, la vision d'elle, d'une adorable salope en train de se servir d'une queue musculeuse comme si c'était la sienne, d'y passer et repasser sa langue en mouvements entiers. Mais alors une sorte d'injustice point, ses doigts empoignent plus ou serrent moins, elle se laisse renvahir malgré elle par les sensations de son sexe investi qu'un homme manipule et surexcite, cet homme est d'ailleurs invisible et inatteignable, il est en bas sous elle, elle devine son visage sans le voir, elle ne voit que sa bite et son bas-ventre, elle ne peut donc que vivre le sens intérieur à défaut de la plupart des sens, et il ne la brusque point, et il ne la viole pas, il la triture, il ne lui cause que d'infimes surprises approfondies, il soumet son esprit en chaleur à des caresses d'une ample et régulière nonchalance dont il l'imprègne, il y met – pire – de la patience et de l'amour, c'est une perfidie intolérable de salop supérieur que cette déférence qu'il y applique, là, altérant finement son geste charnu en frôlements et poussées internes, disposant sa bouche et sa langue en frétillements exacts et appuyés, et alors, quand enfin sur sa bite il ne sent plus l'activation d'elle qui contracte le buste et cambre ses reins en ne parvenant plus à penser à ce qu'elle s'était décidée à faire, quand il constate qu'elle a fait cessation de sa disposition à branler et à sucer, il est content, il la tient, il la prend bien, il sait la toucher, il la domine et contrôle ses pâmoisons, elle est sa femme, il l'a par où elle est femme, et comme il sent qu'elle en conserve une espèce de rancune, un contentieux exprimable au futur, un serment secret et si fougueux que dans son expression indicible il ressemble à une représaille, parce qu'il lui plaît plus qu'elle ne peut tenir, parce qu'à cause de lui et de ce qu'il fait elle ne parvient à s'engager à être la parfaite amante-suceuse, et parce qu'elle songe, au fond d'elle-même : tu ne perds rien pour attendre, chéri ; tu as gagné là quelques moments dans la lutte de nos abandons et plaisirs, mais je n'oublie rien, et dans une poignée de minutes tu seras très salement baisé par la chienne que tu as trempée, comme il sait cela, cet ogre satisfait, il applique encore un peu mieux si possible le doigt ou la langue, la vibrant d'un orgasme proche de venir, la mettant au contact de son paroxysme, l'y effleurant en véritable monstre, en pensant insidieusement, car rien n'est tout à fait altruiste ou égoïste dans le sexe triomphant, et car rien n'est plus propre aux amants habiles qu'une certaine variété de duplicité : tout ceci n'est pas seulement délicieux pour elle, c'est délicieux pour moi, délicieux ce que je vais bientôt endurer, par cette promesse qu'elle se fait en cet instant de me le rendre au centuple !