Le fantasme en faveur d'une femme replète n'est pas dévolu aux hommes gros. Dans la sexualité mâle, tout ce que l'homme estime moins idéal et quelque peu inférieur lui constitue une perspective de défoulement éhonté, moins retenu, plus libre : une Ronde, une laide, ou une vieille – autrefois une esclave, une étrangère ou une Noire – doit comprendre, sinon accepter, qu'elle est un objet de désir transitoire et perpétuel non en raison de ses atouts mais au contraire parce que ses défauts décomplexent l'homme en quête de purgation et de surplomb : une beauté jeune, canonique, rare, implique des égards, une célébration, une dévotion, mais l'homme n'a pas toujours l'envie ni la patience d'un soin fastidieux et d'un culte, il se lasse de quêter des récompenses après des services, et se sent inférieur à quémander la jouissance, à ne recevoir qu'après l'expression d'impatientantes déférences, à se mettre à la disposition d'une princesse fragile et exigeante ; il veut au moins parfois posséder sans manière et pour son plus fort plaisir, et cette pensée moins altruiste lui est mieux compatible avec un corps qu'il n'admire pas et qui lui donne ainsi moins d'hésitation et de scrupules à la possession brute.
Or, il ne s'agit pas d'abuser d'une femme forte, ni de dédaigner de lui donner du plaisir : bien des femmes aiment les saisies franches où elles s'abandonnent, et je crois que nombre de beautés délicates déplorent de n'être jamais dans le sexe traitées âprement. Les goûts sexuels sont variés, et l'on peut avoir de l'amour pour une femme, et elle vous aimer aussi, et désirer la traiter amoureusement comme une chose et comme une pute, et elle encourager à cette duplicité délicieuse dont elle vous aime davantage. Il ne me paraît pas une perversion répréhensible de vouloir qu'un homme se comporte en usant des attributs caractéristiques de la virilité ni qu'une femme arbore les appâts typiques de la féminité, il s'agit seulement de n'enfermer personne en des représentations normatives, et de laisser chacun exprimer ses fantasmes à condition qu'ils soient réciproques. Je dis juste, parce que c'est psychologique, que l'imperfection des femmes désinhibe les hommes et les gonfle d'intentions hardies, et qu'une telle libération de la volonté masculine, poussant aux tentatives pleines, peut être un moyen d'accomplissement pour les deux amants.
Il faut noter aussi qu'il tient une place catégorique dans la pensée d'un homme – et aussi d'une femme, dans la pensée humaine en général – que toute idée de grosseur et de masse doit être manipulée avec moins de finesse. D'ordinaire, on conçoit qu'une chose occupant beaucoup d'espace et qui requiert de l'encombrement oblige celui qui l'utilise à plus de mal et d'efforts : ainsi, l'homme s'apprête à plus de « manutention » et de vengeance sur une Ronde qui à la fois l'énerve et le flatte. Ce qui est volumineux et lourd est en effet associé à un traitement moins subtil, implique une force plus virile, un contrôle plus franc et entier, de maîtriser l'objet avec davantage de puissance – de tous temps, les métiers de la construction sont associés à plus de brutalité rustre, souvent envoûtante aux femmes pour ce qu'elles imaginent que ce corps serait apte à leur faire subir presque à titre de matériau, et même les hommes considèrent ces métiers avec une sorte de jalousie, étant traditionnellement les maris-cocus des femmes couchant avec des ouvriers ou des garde-chasse. En ceci, on tend à prouver que l'amant d'une femme grosse se sent plus mâle en ce qu'il croit s'avérer compétent à s'emparer d'une machine moins aisée, au même titre, pour le dire en gros, que les hommes plus crânes et musclés préfèrent les camions aux voitures – ou les motos, parce que la moto se monte, se chevauche, se dresse en quelque sorte dans toute sa pesanteur et son inertie, tandis qu'il semble que le conducteur d'automobile ne fait que commander à une fraction moindre de l'engin sans s'en saisir amplement. Il y aurait ainsi plus d'orgueil rival à commander à une Ronde : on dresse en quelque sorte un être moins malléable, moins facile ni essentiellement fait pour être domestiqué – le cheval, notamment le mustang, ou le taureau, donne plus de fierté à l'homme que le triomphe du chien, du chat ou de la perruche.
Ainsi la femme grosse se présente-t-elle à l'homme en rut : il l'apprécie, la respecte en tant que femme, il lui octroie un traitement dont il aspire à lui plaire, mais il se jure de n'y pas mettre tant de subtilité que pour une autre, et il la saute sans ménagement, en prenant un grossier plaisir à l'exaspérer et l'essouffler. Il reçoit le même agacement qu'il endure en toute excitation, mais celui-ci s'accompagne d'une supériorité morale, même usurpée, même fausse, qui l'incite à démontrer sa capacité et sa domination, à insister pour diriger, à ne pas se laisser importuner par des simagrées, à bien la défoncer sans timidité. D'ailleurs, s'il la trouve un peu laide, il est logique qu'il encourage son érection d'une certaine insistance mâle, d'une certaine violence, au même titre qu'avec n'importe quelle femme même belle, peu après l'orgasme, il s'échauffe en tyran dans l'espoir de se remettre en ardeur, quitte à paraître ainsi plus cruel. Toujours est-il que l'homme alors, dans la conscience que la femme a davantage de raisons de le vouloir que lui de la désirer, se place en position de maître, se sent de subjuguer, et dicte sa conduite : ainsi, il ordonne, exprime sans retenue ce dédain contenu dans tout rut, la traite avec morgue, l'insulte plus lestement, devient frénétique, ne se soucie que minimalement des pudeurs ou des réserves qu'elle exprime, la remplit, la fond et la gave. Enfin, il tente sans redouter un jugement, et c'est possiblement une grande satisfaction pour la femme de rencontrer un homme qui se comporte avec audace et activité, créatif dans son impudeur, sans demander des permissions, sans poser de questions, sans indiquer des doutes. Il l'humilie en se servant d'elle, baise ses replis, punit ses cuisses, ses seins, son cul, sollicite d'elle une façon d'amendement pour son embonpoint, il la soumet de plaisir. Il la fera transpirer jusqu'à bout de souffle, sa démesure sera plus assumée, il osera enfin faire du sport avec ce corps, et s'en sentira ragaillardi, plus viril, méritant comme après un travail physique ou un sain et valorisant exercice. Or, ces délices ont bien des chances d'être partagées, pour une raison claire : c'est que l'homme en cet état d'esprit n'envisage point de blesser sa partenaire, que l'idée d'un refus d'elle lui serait une castration encore plus grande et une honte plus ridicule, et qu'il est alors vraisemblable qu'elle juge son amant d'une force et d'une présence si mouvementées et si mâles qu'elle trouve à cet inédit un bonheur extrême à se laisser ainsi mener. On ne saurait prouver, je pense, que les Rondes soient moins satisfaites sexuellement : c'est même probablement l'inverse. En effet, les codes et règles de douceur et de précaution gâchent toujours quelque peu l'intensité du coït : rien de plus refroidissant qu'une baise dont on a signé tacitement chaque étape en une sorte de contrat réitéré. La Grosse endure moins cette contrainte et cette neutralité : elle plonge l'homme dans une animalité qui est sans doute un des critères, voire l'apanage, de la sexualité réussie.
Et je crois que tout ce que j'ai écrit ici, qui choquera de misogynie insoutenable quelque intellectuelle maigre ou quelque procédurier quérulent, une Grosse ne l'ignore pas, et même le sait très bien, le sait empiriquement et jusque dans ses chairs : qu'elle suscite plus de violence, plus de volonté, plus de contrôle, et ainsi plus de puissance chez l'homme qui veut s'emparer d'elle, comme on conquiert avec plus de pénétration dure le territoire incitant à peu de grandeur et de poésie – un assaut foncier. Dans sa trivialité, une Forte atténue les réticences et provoque la hargne : toute Forte contient un peu plus ostensiblement qu'une autre une pute qui exige une correction. On vérifierait ainsi qu'une telle femme sait en général comme un homme est tenté de la prendre, avec cette brutalité de monture, et que non seulement elle s'y résigne et s'y plie, mais qu'elle excite cette hardiesse en ne cessant point d'être grosse et en se comportant comme une Grosse. Si le recensement des pratiques sexuelles en fonction du poids de l'amante n'a sans doute jamais été réalisé (du moins n'est pas à ma connaissance), il me semble qu'en général les Rondes sont plus déliées et salopes, ce qui se perçoit notamment dans la conversation courante, et que les minces sont plus prudes et frigides, paradoxalement plus frustrées. C'est peut-être surtout que les Rondes savent que pour plaire, elles doivent user de moyens « déloyaux », en particulier de séductions vulgaires ou prohibées, de provocations indécentes, en indiquant ainsi qu'elles acceptent parfois d'être chosifiées au lieu d'être inconditionnellement respectées, mais on peut supposer que c'est parce que leur réification leur a toujours foncièrement plu. C'est, je le répète bien, que ces pratiques n'entrent pas en contradiction avec l'attention et l'amour que l'homme leur voue, en ceci qu'une telle femme qui « adore ça » trouvera toujours à son amant qui la prend ainsi des dispositions compatibles avec les siennes, et que lui, ce faisant pendant qu'il la baise, verra toujours de quoi la satisfaire et se sentira davantage d'intérêt à s'encourager en excès démultipliés, et ce jusqu'à quelque outrage inédit qui, je l'espère, sera, pour le plaisir, mutuellement agréable et épanouissant.