Et si le vertige peut si bien saisir à l'instant du réveil, c'est qu'également les rêves du Contemporain sont sans doute aussi imprégnés de décence et de règles sociales, au point qu'un rut matinal le trouve encore surpris et bouleversé, comme si la transgression s'opérait de ses songes à ses soubassements, comme si ses fantasmagories du sommeil demeuraient largement convenables et policées. C'est dire qu'il n'écarte pas seulement qui il est durant le temps de la vie publique, mais il l'oublie également dans la solitude avec lui-même et presque jusque dans son inconscient (pour autant qu'on prétende toujours que le rêve est son domaine), comme si la pudeur lui interdisait de se penser nu ou dénué des usages et des images civils – ceci est peut-être un moyen d'accès et même une méthode à la vérité que le rêve est souvent de nouveau une représentation de soi en figure sociable plutôt qu'authentique : il n'est pas sûr que la spontanéité et l'intimité soient au cœur du rêve, puisque le vertige s'y produit peu et qu'une transition forte, c'est-à-dire une rupture essentielle, subsiste en général entre le rêve et le rut. Il serait d'ailleurs à vérifier si nos rêves de rut ne sont pas, le plus souvent, imaginations de sexualité relativement normale et bridée : ceci expliquerait pourquoi, a contrario des théories psychanalytiques, on ne rêve presque jamais de coït avec ses parents, ni de coït à plusieurs, ni de coït aux pratiques bien surprenantes, et pourquoi, lorsque ces rêves se produisent, ils subjuguent particulièrement par leur rareté même. Il faut plutôt admettre logiquement que la vision qu'un être se constitue de lui-même, jusque dans le rêve, est encore celle d'une personne socialisée et guère affranchie des normes de conduite publique : cette reconceptualisation de son autoscopie amène à entendre que l'introspection est une simple variété du regard d'un autre qu'il applique à lui-même – voici sans doute en passant une révolution de la psychologie : ne plus croire que ce qu'un homme est soit foncièrement différent de ce qu'il paraît.
La liberté où le Contemporain se devine en général, l'assez grande décomplexion de son innocuité où sa responsabilité est si rarement engagée, sa détente et son peu de pressions, alors même qu'il prétend souvent se plaindre des contraintes du monde où cependant il ne se conçoit nulle alternative précise – il n'a besoin que de se plaindre, c'est ce qui excuse son insuffisance –, le rend extrêmement sensible à la contention dont le choc s'exprime par cette bouffée affolée et abandonnée. Il ne sait guère ce qu'est une enfreinte de sa volonté et une force nette exprimée sur lui, par conséquent le contraste lui fait un sentiment d'extrémité qui le rappelle à ses sens et à sa primalité. Le forcer à subir une jouissance, le soumettre à un désir inopiné dont l'objectif et le produit sont le plaisir sexuel, lui imposer des décisions à dessein d'orgasmes, le ravissent tant en une forme de bascule vers soi que logiquement on doit convenir que l'inhabitude de la satisfaction dans la contrainte est ce qui signale le plus l'exception de ce brûlant fantasme. Ou il a coutume d'être obligé sans nul intérêt, ou d'ordinaire il ne se sent vraiment obligé à rien : voilà ce qui justifie ce renversement du plaisir ordonné. En sa sociabilité même n'existe rien se rapportant approximativement à la sensation intime de cette envie et de cette puissance exercée sur lui : ainsi la conjonction des deux lui réalise-t-elle une « remontée ».
À présent, qu'on extirpe un amant du sommeil pour lui pratiquer en coercition délicieuse la sexualité dont il tirera ainsi un plaisir double : voilà bien de quoi réaliser à nouveau le vertige.