Il y aurait peut-être un moyen efficace pour un homme d'affoler une femme jusqu'au comble du désir et de l'amour, de l'assujettir tranquillement, de la subjuguer en stratège, ce serait d'indiquer par une impassibilité discrète et noble l'absolue liberté qu'il lui laisse, tout en restant exemplaire, de ne pas s'imposer à elle pour qu'elle seule prenne la décision de l'admirer et d'interrompre la fascination qu'ainsi il lui provoque. L'homme digne, en pleine œuvre et qui ne réclame pas qu'on le remarque, peut susciter, néanmoins présent, un appétit et une frustration comme s'il était absent tant qu'il s'offre à juger supérieur, et son attitude, qu'elle fût spontanée ou calculée, se mêlant à une sorte de flegme si autonome qu'elle semble du mépris, inciterait la femme à attirer son attention, sans pour autant s'estimer négativement dédaignée par lui, parce qu'elle saurait sa constance et supposerait que ce n'est pas une feinte s'il demeure mais bien l'absorption de ses dispositions fortes et viriles.
Voir quelqu'un tout occupé dans une activité qu'on estime inaccessible, et même occupé jusqu'à nier la présence du témoin, a certes bien de l'attrait pour l'amant qui cherche avant tout à s'attirer la grandeur de la personne qu'il aime.
C'est peut-être un peu théorique ainsi écrit, mais il suffit d'imaginer bien concrètement la scène, et l'on comprendra mieux ce ressort ; et tenez ! même en restant mâle :
Vous êtes chez vous où une femme est restée à œuvrer en votre absence, et vous rentrez du travail. Vous sentez peut-être de l'incommodité, si tôt après la fatigue, à endurer une présence et à vous astreindre à une conversation, à l'heure où vous auriez plutôt goûté un peu de solitude apaisante, vous vous éclipsez alors dans la douche où vous vous restaurez, où vous vous lavez l'esprit de vos énervements, comme une mue salutaire, un sas libérateur, une transition vers la détente, après avoir été longtemps en contact avec le monde sale et bruyant. Le temps de ce délassement, où naît un avant-plaisir et où votre humeur irritable retombe dans la satisfaction, vous donne des scrupules à la fuite dont vous avez témoigné en vous écartant d'elle, et il vous vient une culpabilité de l'avoir ainsi évitée. Bien sûr, en sortant de la salle d'eau, vos scrupules s'évanouiraient si elle vous reprochait votre isolement et se rattrapait d'importunité, seulement, discrète et sans exigence, vous la trouvez encore plongée dans l'exercice, elle lit calmement un ouvrage difficile, ne vous pressant en rien, et il semble que vous pourriez ainsi vous taire encore des heures sans susciter d'elle la moindre obligation, elle est pareille aux meubles à disposition, elle incarne votre vie intérieure, elle est intime au sens où elle se fond idéalement dans votre espace personnel, sans envahissement, le contraire d'une intruse, se laissant contempler dans sa posture élégante et pure, ne restant étrangère que dans la mesure où elle représente la dignité superbe qu'on ne trouve pas toujours dans son aménagement. Elle appartient de la sorte à votre univers qu'elle améliore, son humilité exacerbe vos sentiments, vous excite, vous devenez tels ceux que la vue d'êtres sages incite à des provocations en les touchant et taquinant, vous en éprouvez l'adorable tentation, en vous monte le souhait d'attirer son regard puisqu'elle peut se passer de vous et conserver une attitude très calme de statue, la progression du désir, lentement et successivement développée, a le temps de vous interroger et de vous procurer des visions, et quand cette paralysie demande à cesser et que vous vous apprêtez à réaliser enfin une approche, une hésitation même vous surprend, vous, à interrompre dans votre demeure l'action absorbée de cette femme, comme si c'est chez elle que vous étiez, parce que sa subtilité vous donne un exemple de la façon dont vous devriez vivre, et vos tergiversations impossibles, disparates ici, vous font concevoir des procédés pour l'aborder sans la brusquer, ou même en la brusquant de manière inférieure, et la durée de cette silencieuse parade vous fera la rencontrer avec un désir déjà augmenté où vous serez alors largement imprégné de sensualité et d'envie.
Si hiératique et douce qu'elle est, il vous naît une force pour la subvertir, et il est difficile de lutter contre cette tension active qu'elle a immiscée en vous.
S'insinuer dans l'environnement d'un autre sans y forcer sa place, et y poursuivre avec placidité le haut travail par lequel on a su se faire aimer du propriétaire, je ne vois guère plus délicieusement énervant que cette posture distinguée où le témoin voudra introduire le trouble et transgresser la sagesse parfaite. Ainsi, une femme sans doute aurait autant de plaisir-monté à sucer un homme écrivant à son bureau qu'un homme aurait de désir-grandi à lui caresser le sexe tandis qu'elle lit : cela se prouve à un moindre degré quand une femme qui cuisine avec soin est spontanément entourée des bras de l'homme, ou lorsqu'un homme qui s'est fort épuisé reçoit d'elle un massage auquel elle ne se sent point obligée. Ce n'est pas du tout là du registre de la récompense auquel nos Contemporains ont tristement l'habitude, il ne s'agit point par calcul d'inciter le conjoint à continuer de pourvoir au foyer en lui procurant des soins insidieux, mais c'est la disposition authentique d'amour qu'on porte à celui qu'on admire et qu'on voit œuvrer, cependant qu'on a un peu résisté à le lui communiquer et qu'au terme d'une lutte intérieure qui fait en soi l'effet d'une contention irrésistible, comme une explosion, on n'y sursoit plus, et l'on s'abandonne enfin à le lui très fougueusement témoigner.