Grasse sous les dunes - making of

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Je ne me souviens plus de la date de ma dernière grasse matinée, c'était sans doute il y a plus de quinze ans, une de ces béatitudes qu'on sacrifie en étant marié et en ayant des enfants. Quand une femme vous accapare, elle vous interdit de vous livrer à la délicieuse paresse qui lui fait honte en vous humiliant, et, comme elle n'est guère fatiguée, elle vous met le réveil à telle heure, décide de votre programme, et vous obnubile d'activités intrinsèquement domestiques à dessein de vous dicter votre conduite, sans autre avantage que de prendre graduellement l'usage de vous manipuler. Puis les enfants naissent : vous n'aurez plus avant deux décennies le profit de rester tard au lit, parmi les dunes de draps et l'abêtissement exceptionnel non moins profond, sous la lumière blanche qui bave des volets et parmi la curieuse inactivité diurne de la chambre, tandis que les voitures occupées passent sur la route. Tant de choses bonnes et qui meurent avec l'inutile résolution d'adultes ! La saveur des peaux mortes, la fragrance animale des suées que le tissu imprègne, le glissement lourd, mou, organique, de l'autre côté de la couche, la rencontre avec un autre corps, oublié, rappelé, aimé, possédé et qui suscite nos confidences... Atmosphère de désert d'été, d'abandon harassé, qui se joue, de maladie simulée, de convalescence d'artifice, de havre immoral sans impérieux travail, d'indolence végétative, avec la morne placidité des meubles qui regardent et vous jugent, et le bruit insaisissable des gens dans la rue ou la maison d'à côté ... Adorable régression ! Saisir un quartier de membre qui stagne, s'en emparer, et s'en oindre presque aveugle, en bestialité de taupe, s'y vautrer... N'avoir plus l'énergie résiduelle que de faire mal l'amour comme on rampe en des chairs, et embrasser vilement, piètrement, en passionnements incontrôlés, hébétés, soudain retombés, bientôt épuisés, retournés en sommeils repus... Revenir malgré soi aux paupières closes, dont l'appel puéril est d'une sieste perpétuée, supérieur, inexorable, écrasant... Pester en loin contre la lumière, s'enfermer sous la caravane, se déranger du climat, et ce bras qui ne se range pas... Attendre de n'en plus pouvoir de dormir, d'être à satiété de toute possibilité de rêver, de ne plus être apte à autre chose qu'à se lever, et ouvrir enfin les yeux, s'apercevoir, là, le regard écarquillé, l'esprit libre, souriant, reconnaissant, que c'est un des rares jours que l'on peut commencer sans devoir et sans brume, à son rythme parfait d'une introduction efficace, pour quelque création vraiment personnelle et déliée de tout rite... Car oui, c'est un jour-né-tard où l'on va s'appliquer et œuvrer...

Vivre, c'est-à-dire élire son repos et élire sa besogne. Ne pas imiter, ne pas se plier aux routines absurdes, ne pas consentir à extraire une jambe du lit-tombeau sans en être entièrement responsable. Se permettre au début d'être un peu plus lent si c'est pour s'offrir de finir un peu plus loin et plus soi.

HormisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant