Une pitié m'a pris, une nuit d'hiver, tandis que je conduisais de retour chez moi, pour toutes les créatures à fourrure rarement visibles qui endurent le froid, grelottant dans le silence glacé, et cependant pour lesquelles cet état est normal, une fatalité, leur ordinaire animal sans même la pensée d'une alternative. La buée mortelle s'échappant des poumons, et le réflexe des muscles tremblant. La sensation d'une urgence simple, et le sentiment d'une étreinte ordinaire. Le goût interrogatif de la mort, assumée, contingente, fortuite, excluant une préoccupation issue de l'extérieur. Solitude et précarité.
Rien ne vous plaint ni ne vous cherche. Nul ne se préoccupe de votre calvaire, qui n'est qu'un inconvénient très banal.
La vie sauvage.
On a largement oublié leur situation ; si l'on y était confronté, sans doute la maladie et la mort viendraient-elles bientôt nous prendre ; mais notre douleur ne se résume qu'à supporter, en un long manteau épais, le trajet du bâtiment à la voiture et de la voiture au bâtiment. Puis il y aura bienheureusement la chaleur de la maison, et la chaleur du bain, et la chaleur du lit, en l'inconscience de ce qui peine dans la longue indifférence obscure qui fait hors les murs comme un grondement d'onde inexorable, la radiation immuable et mortelle de la Terre : on ne sait pas ce que c'est de passer non seulement une nuit mais une succession de nuits dehors, nu, sans un abri, debout comme un cerf ; on ignore ce que c'est d'espérer le retour du soleil qui pourtant ne procure presque aucun réchauffement tant ses rayons sont faibles ; on ne garde nulle trace de la patience résignée des saisons bonnes qui devraient venir, quand le temps sera redevenu propre à manger à sa faim et à folâtrer dans les herbes vertes, quoique en la lointaine perspective des glaces et du gel qu'une certaine analogie ou qu'un bizarre contraste rappelle soudainement à la mémoire comme endeuillée d'ancien mal. On n'a plus au fond de soi l'expérience ou le souvenir d'un inconfort ; même dans la peine physique on garde toujours la certitude d'un soulagement prochain, car on n'est plus jamais seul avec son pâtir, on n'a plus jamais, jusqu'au trépas même, la crainte de mourir, et surtout de mourir d'une manière anodine et banale c'est-à-dire de façon pragmatiquementnaturelle.
Il faut, à mon avis, penser quelquefois aux bêtes condamnées à la dureté impitoyable et minérale des éléments – c'est la dimension même de la nature qu'on associe stupidement aux bienfaits et à la beauté –, notamment du noir sans remède aux températures négatives, et songer que c'est à quoi l'on échappe quand on vit dans un monde d'innombrables technologies où ne se retrouve plus jamais une véritable difficulté ni un contact prolongé avec un environnement terrestre subi, quand on vit dans un monde où la gêne est une relativité dérisoire, dans un monde symbolique et oublieux du vrai où il semble superflu de savoir combien nos conditions de vie, pour s'être développées à un point si élevé de privilège, sont devenues comme intrinsèquement inhumaines, je veux dire ainsi écartées des initiales, primales et fondamentales circonstances naturelles de la vie des hommes concrets.