Palpations - making of

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C'est de la contradiction du code social et de la pulsion intérieure que naît au plus fort le vertige, sensation forte qui est l'émanation du soi oublié ou remisé, du soi que des années de conditionnement ont désigné indécent et que tant d'usages ont détourné ou anéanti ; or, lorsque la contradiction est progressive, le vertige est graduel et s'atténue en espérance et en réalisation étagée. Un désir brutal, ranimé par une vision ou une imagination inopinée et intempestive, est propre à produire l'envahissante syncope, tandis qu'une sensualité lentement suggérée, si elle n'est pas moins agréable, génère un état de moindre surprise.

C'est pourquoi il y aurait justement, en une manière scientifique de palper une femme, quelque chose d'irrésistible et de profondément bouleversant : c'est l'impassibilité de l'homme renvoyant à l'impression d'une norme de dignité, cependant que ses doigts transgresseraient et profaneraient, avec une insidiosité évidente, les bornes du convenable. La neutralité, en général, dans l'expression d'un amant, est un sujet de trouble pour celle qui se sent dominée sans moyen d'accès sur qui la possède, et ne peut que la pousser à des abandonnements et des provocations. La rigueur physique et toutes les marques de la grande constance sont sans doute des attributs d'inquiétant bouleversement à celle qui envisage : c'est qu'on y perçoit l'écho de la Convention hors d'usage, superflue et comme illicite dans le sexe, une négligence pleine d'assurance de ce que le sexe est supposé être, alors que ce caractère, figuré en une circonstance intime, induit ce paradoxe et renverse d'inattendu en une transgression inversée où c'est la tenuequi dépare. En général, le maintien masculin dans la sexualité, en quoi j'entends toutes manières de résistance et de contrôle, est une ravissante perspective non seulement dans l'idée d'une faculté dont la tranquillité même est un symptôme de perfection, mais dans le fantasme impalpable d'inédite fusion de la glace et du feu : un homme qui peut vous faire jouir sérieusement, si inatteignable en apparence que c'en est un défi.

Probablement pour cela la science est-elle traditionnellement si mâle, et s'étonna-t-on longtemps que des femmes voulussent se joindre à ce collège : on était évidemment perplexe quant à ce qu'elles pourraient y gagner. Je soupçonne le scientifique sexué d'avoir choisi sa profession en pensant au pouvoir et au trouble suggéré par son état d'objectivité : et quoi qu'on interprète, il est indubitable qu'il trouve aussi sa satisfaction dans l'image d'un scientifique. On clamera que j'exagère et que je penche périlleusement du côté de la psychanalyse, excessive et absurde, mais la science est largement, sinon tout entière, associée à la contention, puisque c'est la mise à distance des passions qui la caractérise et presque la définit. Sa supériorité figure en insensibilité, en démonstration impérieuse, en surplomb irréfragable ; tout être de science sait que son terrain de sélection est celui de l'incontestable et de l'inhumain, entendus comme sans attache, sans interaction, sans « affaire personnelle » ; l'état foncier de son esprit est celui d'une machine réglée qui explore et constate, à défaut de tout engouement qui pourrait interférer dans son ouvrage ; il se destine à la performance. Or, est-ce qu'on ne s'interroge pas toujours un peu, femme, par quels moyens un homme peut vous « baiser avec distance » ou par quels moyens vous pouvez, au contraire, l'obliger par une baise bien ardente à renoncer à cette distance ? Ce trait de prétendu recul est un sujet d'intérêt et d'excitation pour tout individu qui veut assouvir ou être assouvi, d'autant que la science est évidemment une propriété attachée à la puissance, supposant des procédés, des techniques, des méthodes plus efficaces et sûres pour arriver à ses fins, en quoi l'on tend à imputer au scientifique la curiosité, la logique, la capacité d'apprendre et le désir d'atteindre des résultats indiscutables par des actions concrètes, ce qui, à y songer même vite, à l'intérioriser même subliminalement, constitue largement ce que peut souhaiter une femme en matière d'amant. En ceci, un homme qui s'avance à elle et dont les attouchements pressenties ou senties ressembleraient à des palpations est un docteur qui, provisoirement, paraît propre à susciter un chamboulement.

Voilà pourquoi j'imagine un homme qui s'assiérait sur un lit et qui, comme abusant de son autorité mais bien plutôt indifférent aux frontières morales, glisseraient ses mains dures sur une femme nue, immobile et consentante, selon les droites lois d'une méthode et d'une curiosité supérieures. Il prendrait ses marques sur ce territoire de chairs, se laisserait gagner par la logique silencieuse de ses observations, progresserait presque sans égards en être que ne troublent pas les réactions du cobaye mais qui pourtant les considère, les retient et les ajoute aux constatations antérieures, et j'admets – est-ce un peu fort ? – qu'au moins un moment son inflexibilité virile serait une délicieuse exaspération pour celle qui, au surplus, aurait le frisson de soupçonner ou de deviner que sa direction indique un projet en faveur de son plaisir.

La contradiction en faveur du vertige !

Et cette femme, alors, songeant ou plutôt sentant sur sa peau les inclinations sensibles, pourtant sans indice plus explicite, de l'homme, ne serait-elle pas, en son affolement délicieux, tentée d'associer la suprême attention portée sur elle, quoique sans sourire, ni mot, ni chaleur apparente et presque sans une variation de souffle, à une forme detendresse ; et ne serait-ce pas déjà, en somme, en sa conscience troublée et en cet instant largement démise des enseignements de la spécieuse morale – preuve de la relativité des sentiments telle que je la suppose de moins en moins et la reconnaît de plus en plus –, le début d'une conversion subjective de l'intérêt en amour ?

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