Peu de femmes, je suppose, ignorent en gros l'effet de leurs fesses à l'homme qui les envisage, l'excitation érotique primale qu'elles suscitent, l'espèce de salivation instinctive et régressive qu'elles provoquent et qui fait de ces rondeurs, chez beaucoup comme moi, un objet d'attention systématique, au point qu'un visage lui caractérise moins la féminité qu'une croupe, et au point même que l'arrière d'un cheval lui paraît plus excitant que l'avant d'une fille. C'est en conscience de cet atout que, dans notre société, malgré divers sursauts et persistances de puritanisme associés à la visibilité du corps, les femmes même jeunes continuent d'arborer leurs bas de hanches et haut de cuisses, dont elles s'affolent sans doute un peu elles-mêmes, attributs de maturité physiologique dont elles ne disposent avant l'adolescence, attributs de la nubilité et des premiers appels, attributs du commencement des émois sensuels, car il n'est pour moi rien de moins excitant que des fesses d'enfant (il me sera en cela toujours difficile de comprendre la pédophilie sexuelle). Je puis imaginer la femme aux cheveux courts, aux jambes râblées, aux seins inexistants, même à la voix rauque, mais je tiendrai toujours comme malgré moi pour une caractéristique essentiellement féminine le port de certaines fesses, n'en déplaise aux teneurs de théories modernes et de « reconstruction » où mon instinct manifestement n'entre toujours point. Puis-je concevoir sans dégoût une femme qui, au contraire, serait pourvue de tout cela, cheveux longs, jambes fines, poitrine opulente, voix de fille, mais sans fesses ? J'en doute. Un fessier plat m'inspire une répugnance, c'est ce qui me fait exclure symboliquement une femme ainsi désincarnée de sa communauté sexuelle. Il m'est même troublant – excitant –, de voir un homme danser s'il dispose d'un bassin de femme, et je trouve que le plaisir masculin à regarder une danse se situe presque exclusivement dans le mouvement postérieur, de la taille jusqu'aux cuisses (la fameuse « danse du ventre » n'est pour moi qu'une mise en valeur des fesses c'est-à-dire de la cambrure et du galbe).
Je confesse qu'autant que je puis j'observe premièrement une femme par derrière et « trie » selon la conclusion que j'en tire...
C'est peut-être une tendance à laquelle je devrais résister, mais comment s'offusquer de ce qui n'offense que la plus austère pudibonderie et qui me paraît si spontané et consubstantiel que je ne l'ai jamais appris ni véritablement vu et recopié ? Est-ce que mirer ce qu'on veut et qui se porte à la vue, discrètement de surcroît, doit aussi se considérer un délit et une faute ? Si les femmes tiennent à cette invisibilité anatomique, qu'elles la masquent : elle se dépourvoiront d'un autre avantage, pas supplémentaire vers leur obsolescence pour l'homme – vrai qu'elles ont déjà beaucoup marché dans cette direction (mais la réciproque est vraie). La particularité des fesses est apanage de la féminité, et plus une femme en a conscience, plus elle est en mesure d'en faire usage : c'est certes pour le plaisir du regard des hommes, mais c'est aussi, je l'espère, pour le plaisir de se savoir regardée. Non pas qu'alors elle se réduise à cela, au même titre que l'homme ne se définit par ses épaules ou par son cou (lire Martin Eden), mais user d'un attribut humain pour le perfectionner à dessein de satisfaire et de se satisfaire, c'est tout comme faire progresser son esprit dans un semblable objectif : qui songe qu'il y a de l'impudeur à devenir intelligent au prétexte que c'est un sujet de discrimination ? Du reste, d'où tient-on que l'esprit est plus personnel que les fesses, et en cela plus dignement valorisable ? Je n'estime pas mon corps plus étranger et moins profond que mes ressources mentales, c'est aussi un entretien, j'ignore pourquoi j'aurais à choisir ; d'ailleurs, mon corps est un peu plus authentique, il n'est pas constitué d'une multitude d'idées extérieures que j'affecte de croire miennes tandis que je ne fais que me les adjoindre et dont la collection affecte l'idiosyncrasie : la plupart des esprit ne sont en tout que copies exactes d'autres esprits, mais un corps, aussi déformé de malnutrition soit-il, conserve ses distinctions – on serait le plus souvent en peine de savoir à qui l'on parle de nos jours si l'on n'avait d'une personne que les signes « d'esprit ».