Exploration

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Je n'avais jamais été aussi gêné dans une maison. Philippe lui est à l'aise mais moi avec notre fil je ne m'y sent clairement pas à ma place. Je suis choqué, on peut dire ça comme ça, par ce qui se passe depuis plusieurs heures.Le cadre d'abord ... Et puis Darling. Il n'a jamais été comme ça et d'un autre côté c'est comme si ça avait toujours été ainsi sa véritable nature : il parle fort,il est crû. Il me défend mais pour ça il utilise le mépris et ...Je ... D'habitude quand il est en colère il n'est pas hautain, il est seulement révolté. Et puis là il entre avec notre petite voiture dans cette grande maison, dès lors il vouvoie tout le monde et tout le monde le vouvoie. Moi je suis une tâche dans ce décors que je n'avais jamais vu que dans les films et des visites touristiques. Je suis le seul à ne pas trouver normal qu'on ne dise ni « s'il te plaît » ni « merci » ici ?Je suis le seul à ne pas comprendre pourquoi avoir une bonne serais acceptable mais servir des gâteaux dans un plateau d'argent non ?Et puis moi qui ne parle pas un traître mot d'Allemand je réalise que je suis non seulement en terrain inconnu mais également dans un univers qui n'a même pas conscience de ma présence. Tout ça n'a ...plus rien à voir avec moi. Je ne partage absolument rien avec cet endroit, pas même Darling puisque il n'est pas lui même ici. Je resserre contre ma poitrine mon fil en pleur en cherchant à le calmer. Ça ne risque pas d'être efficace puisque je suis aussi au bord de la panique. Les deux ariens commencent à hausser le ton, à parler encore plus fort, de plus en plus en Allemand jusqu'à ce que le Français disparaisse complètement et que je ne comprenne plus rien. Et l'un fait de grands gestes, et l'autre bouge à peine. Je recule encore d'un pas. Soudain je regrette d'être venu ici, de le savoir poussé à se revoir. A quoi est ce que je pensais ? Que tout se passerais comme dans un conte de fée ? Que ce serais comme chez moi : de nouveau une famille soudée. Mais ici, je l'ai bien compris maintenant, ce n'est pas chez moi. Pas du tout. Je ne suis pas du même monde qu'eux, et eux sont trop différents pour ne pas en être effrayé. Qu'est-ce-que j'ai encore fait ?


« -Chut mon bébé. Tout va bien, daddy est là. »


J'essaie de me convaincre que c'est bien lui devant moi : cet homme immense qui fait les cents pas comme un lion en cage en répliquant dans une langue étrangère. Il est chez lui ici mais je ne suis pas chez moi. La femme de tout à l'heure, Pétra, me fait un signe par l'entrebâillement de la porte d'où nous sommes entrée. C'est l'occasion de m'échapper que j'attendais : je me précipite dans l'entrée, loin des cris et des mots étranges coupant comme des lames de rasoirs. Plutôt que de me suivre, de venir avec moi, avec son fil, Philippe referme la porte sur mon passage. Je réalise avec horreur qu'on le dérange. Les larmes de son fil le dérange !Sa famille n'est pas ce qu'il y a de plus important en ce moment.C'est douloureux ... La bonne avec un léger accent germain me sort de mes noires pensées :

« -Monsieur ?

Appelez moi Mathéo. Et vous ? Comment dois-je vous appelez ?

Pétra monsieur.

Enchanté madame.

Voyons monsieur ne m'appelez pas madame, je suis la domestique.

Alors ne m'appelez pas monsieur, s'il vous plaît.

Bien. Vous avez besoin de quelque chose ? En ce moment il vaut mieux laisser monsieur et madame tranquille. Quand ils sont lancé comme ça ça peut durer longtemps. »

Coup de poignard : encore une femme qui prétend mieux le connaître que moi.

« -Je suppose que oui ...

Ça  ne va pas ?

Si si. »

Je me ressaisi mais Mme Pétra garde son air inquiet.

Immuable (tome 1, 2 et 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant