Chapitre Dix-sept

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Nous arrivons enfin. Le camp se résume à une dizaine de tentes toutes d'une couleur différente. Vu de loin on dirait un arc-en-ciel de tissu. Dans un sens c'est assez beau, une touche de bleu, de rouge ou de jaune dans tout le vert de la forêt.

    Nous suivons Kristal de près. Son fils dans les bras, elle salue plusieurs personnes sur le chemin. Tout le monde se retourne sur notre passage. On doit avoir une allure épouvantable, moi avec ma combinaison déchirée et une cicatrice le long de la jambe et Morgan, qui n'a pas l'air très différent d'eux à part son expression méfiante à faire peur. J'essaye de ne pas montrer ma gêne mais c'est impossible, je regarde dans toutes les directions, effrayée par autant d'inconnus. Je n'ai toujours pas l'habitude de toute l'attention quand pendant des années on m'a à peine remarquée. Les personnes qui nous entourent n'ont pas l'air hostiles, à part la surprise de certains, la plupart affichent tous un sourire pour nous saluer. Au fur et à mesure de nos pas, je me sens plus à l'aise. Je ne sais pas où Kristal veut nous emmener mais je n'ai pas peur. Étrangement, je lui fait confiance dans un sens. Elle n'a pas l'air de nous vouloir du mal, je ne la voie pas comme telle. Ce qui n'est pas l'avis de mon compagnon. Morgan a les poings serrés le long du corps et est sur ses gardes. Je sais qu'il ne voulait pas venir mais cela m'étonne qu'il continue quand même à douter. Kristal nous a proposé si gentiment de la nourriture et un logement, tout du moins une tente mais c'est déjà ça, et il n'arrête pas de fusiller tout le monde du regard comme pour prouver qu'il n'est pas ce que tout le monde croit : un gars paumé sans rien. Je trouve ça puéril mais il ne m'écoutera pas si je lui dis. Kristal pose son fils à terre et lui demande d'aller jouer pendant qu'elle nous fait entrer dans une tente blanche. Nous nous retrouvons face à une femme d'une soixantaine d'années, des mèches grises se confondent dans ses cheveux blonds tirés en chignon sur sa tête, ses yeux clairs se posent sur moi. Je la reconnais tout de suite.

    Hélène.

    Ma bouche s'ouvre sur un cri silencieux. Je me pince pour savoir si je rêve. Non. Que... que fait-elle ici, vivante en plus ? Je ne comprends plus rien. Morgan a la même réaction que moi en moins appuyée. Je m'éclaircie la gorge pour pouvoir parler mais le seul son qui en sort est un faible grognement. Nous la fixons pendant plusieurs minutes, enfin je crois que ce sont des minutes. Depuis que nous sommes entrer, j'ai l'impression que le temps s'est arrêté.

    Kristal rompt enfin ce silence pesant :

-    Je vous présente...

    Elle n'a pas le temps de parler que Morgan la coupe :

-    On connaît déjà Hélène, merci.

Son ton exprime à la fois de l'incompréhension mais je ne comprends pas il ressent aussi... de... la douleur ?

    Je suis en effervescence après avoir encaisser la nouvelle. La tante de Tom n'est pas morte ! Quand il le saura, il sera fou de joie ! Je me rends compte qu'on ne le reverra peut-être pas avant longtemps. Ce qui assombrit un peu mon allégresse mais ne m'empêche pas d'aller à sa rencontre et de la serrer dans mes bras. C'est un peu ridicule comme ça mais j'avais besoin de le faire, de la toucher pour savoir si c'est vraiment elle. Ça me fait un peu bizarre, pas parce que je n'ai pas l'habitude mais surtout parce qu'elle est mon aînée et je la dépasse d'une tête. Elle me rend mon étreinte et je lui souris quand nous nous détachons. Hélène sourit aussi de toutes ses dents, ce que je ne lui ai jamais vu faire. Nous n'avons pas été très proches à la base mais mon estime envers elle s'est grandement renforcée quand j'ai appris que mon ami, Tom, est son neveu. Je suis contente de la revoir. Je ne savais pas avant mais maintenant je dois admettre qu'elle m'a manqué.

    J'arrive enfin à prendre la parole en bredouillant :

-    Mais... Co...Comment est-ce possible ? On nous a dit que vous... vous étiez... morte.

    J'ai du mal à prononcer ce dernier mot qui m'a fait tellement souffrir, d'abord avec Juliette après avec Hélène, même si elle ne l'est pas. J'espère que ces quelques lettres ne vont plus me faire de mal. J'essaye et je crois que je réussis assez bien à contenir ma tristesse depuis le suicide de mon amie.

-    Ce n'est pas vrai. Je suis bien vivante, répond-t-elle calmement.

    Morgan crache avec colère :

-    Oui ! On voit très bien que vous n'êtes pas morte ! On n'est pas aveugle à ce que je sache ! Mais pourquoi faire croire une telle chose ?

-    C'était nécessaire. Et je n'ai aucune raison de vous dire pourquoi.

    La froideur qu'elle met dans ses paroles me coupe le souffle. À peine quelques minutes avant, elle me prenait dans ses bras et maintenant j'ai l'impression de me retrouver face à une inconnue.

-    Vous ne pouviez pas nous faire ça ! Je suis surprise par la puissance de ma voix.

    Je sens glisser lentement une sensation mauvaise dans mon cerveau. Le sentiment d'avoir été trahie. Les mensonges ! J'en ai assez de ces mensonges qui flottent en permanence autour de nous ! Il faut qu'ils arrêtent de nous cacher les choses surtout sur des sujets délicats comme celui-ci ! On nous a quand même fait croire qu'elle était morte ! Mais non ! Pendant tout ce temps, elle restait bien tranquillement dans une tente à vivre en pleine nature. Je suis à peu près sûre qu'elle est à la tête de ce camp ! Mais quelle mort spectaculaire ! Je dirai même vive !

    La sensation si familière à mon poignet se fait sentir ainsi qu'autre chose d'à peine perceptible, une sorte d'énergie nouvelle qui coule dans mes veines. La colère me submerge. Mon regard se trouble, des larmes de rage glissent sur mes joues une à une. Je n'ai pas envie qu'ils me voient pleurer mais je ne contrôle plus rien. Une faible voix m'arrive comme si elle venait de très loin mais je sais que la personne qui parle est à côté de moi. Je ne l'entends plus. À ce moment, une chaleur agréable se dépose sur mes poignets, elle m'étreint. Je ne la repousse pas quand elle se resserre. Je suis secouée mais plus aucune sensation ne me parvient. Je ne sens plus que ce pouvoir qui monte en moi comme un torrent imperturbable. La chaleur passe de mes bras à mes joues et augmente. Ce n'est plus si plaisant, ça me brûle presque. J'ouvre les yeux constatant que je les avaient fermés pour stopper mes larmes. Les silhouettes sont encore floues mais je distingue avec précision la personne en face de moi. Les mains sur mon visage appartiennent à Morgan. Un murmure me chatouille l'oreille :

-    Kate ! Reprends-toi, bon sang ! Kate, arrête ! Je sais que tu peux le faire ! Allez, concentre-toi !

-    Non, lui réponds-je, simplement.

-    Si, tu vas y arriver ! Inspire, expire.

    Au fil des indications de Morgan, - que j'écoute je ne sais comment- j'arrive à calmer mon souffle et mon cœur le suit de près. Ses mains n'ont pas bougé mais la chaleur a diminué fortement. Elle sont presque... froides ? Je ne sais pas comment un Élémentaire comme lui peut avoir les mains gelées. C'est quasi impossible.

    Je continue mes respirations et au bout de quelques minutes la puissance disparaît comme pour se confondre avec mon corps. Mes yeux scrutent l'expression anxieuse de mon compagnon. La peur si infime qui y transparaît aussi. Je n'ai jamais vu autant d'émotions traverser son visage. C'est un changement radical quand il reprend son masque neutre en s'éloignant de moi.
     Étrangement ses mains me manquent, je ne voulais pas qu'il les enlève juste pour avoir la sensation d'être raccroché à quelque chose pour ne pas tomber. Ce que je fais dans la seconde qui suit. Mes jambes, en fait pas seulement elles, tous mes membres ne répondent plus. Je suis engourdie et n'arrive qu'à tourner la tête pour voir le choc se refléter dans les yeux verts sombres de Morgan. Il n'hésite pas et s'accroupit près de moi. Je suis dans du coton. Tous les sons sont atténués. Je ne sens plus rien. Toute mon énergie s'est envolée en même temps que ma colère. Quand il me prend dans ses bras et que ma tête cogne son torse ferme, je ne sens qu'un petit picotement et rien d'autre. Une main sous mes genoux et une sous mes épaules. Il crie car je voie sa bouche s'ouvrir et se refermer rapidement et violemment. Son regard est de nouveau indéchiffrable quand il sort de la tente pour en rejoindre une autre en courant. Mon corps percute le sien pendant la course. Je n'imagine pas ce que ce sera quand je serai sortie de cet état comateux.

Il entre sans préambule dans une tente à la toile rouge vif. J'ai à peine le temps de voir une petite femme rondelette aux cheveux frisés roux que je tombe dans un profond sommeil.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant