Chapitre Trente-deux

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Je viens de l'allonger pour qu'elle reprenne un peu l'énergie qu'elle venait de perdre. Je l'admirais pour sa vivacité. Elle a beau être en piteux état, elle se démène toujours pour les autres. Cette force de caractère que j'ai d'abord pris pour de la suffisance n'est autre qu'un courage sans limites.

Ses cheveux accentuent encore plus son côté rebelle et révolté. J'aime bien comment les mèches dorées tombent en désordre sur son visage et sa nuque. Je ne peux m'empêcher de passer une main dessus, les ébouriffant un peu plus. Je détourne la tête, Rebekah me fixe, décontenancée. Je retire ma main comme si ce contact m'avait brûlé. Elle ignore ce qu'on a traversé ensemble et ce qui s'est passé aussi, même si j'ai la certitude que Kate a déjà tout oublié.

Je recule et me réfugie dans un coin de la pièce. Les yeux tournés vers la moquette crème  usée par les nombreux passages. Rebekah ne me lâche pas et je capitule en quelques secondes. Ses yeux clairs posent des questions muettes et je secoue la tête comme pour couper court à la conversation inexistante. Elle s'avance et chuchote :

- Qu'est ce qui se passe entre vous ?

- Rien.

Mon ton froid et distant devrait la convaincre de laisser tomber mais elle n'arrête pas et repose la question. Je ne sais pas quoi lui répondre. Et si ce qui s'était passé n'était qu'imaginaire. Non et la rousse le sait. Comment lui faire comprendre que tout ça n'a plus aucune importance ? J'ai beau essayé de me convaincre, je sais que je n'oublierai pas ces moments. Kate l'a apparement déjà fait mais moi je ne peux pas faire impasse sur nos baisers échangés, sur toutes ces paroles irréversibles. Enfin ma décision prise, je glisse le long du mur et finit à terre. Je commence à tout lui expliquer, de mon enlèvement à notre arrivée à l'auberge. Elle ne dit rien et je prends conscience que depuis longtemps j'avais besoin de me confier. Les mots glissent sur ma langue à une vitesse folle. Je suis plongé dans le récit et continue jusqu'à épuiser toute ma salive.

- Je savais bien qu'il se passait quelque chose entre vous deux et ça depuis le début.

- De tout ce que je t'ai dit tu ne retiens que ça ? demandé-je, étonné.

- Tu préférais parler de la Garde et des morts ?

Aucune réponse ne serait adéquate pour ce genre de question. Je reste alors silencieux et repense à ce qu'elle a dit. Alors y avait-il anguille sous roche depuis longtemps entre Kate et moi ? Ressentait-elle cela avant ? Non. Elle me l'a bien fait comprendre. Mais je ne peux m'empêcher de le rêver. Pour ma part il y a toujours eu une certaine envie. Une chose enfouie qui ne sortait jamais. De toutes façons chacune de mes émotions qu'elles soient bénéfiques ou non sont enterrées une par une après leur apparition. Je n'ai trouvé que ce traitement pour éviter de délirer. Après mes dix-sept ans, je n'arrivais même plus à me regarder dans un miroir sans vouloir fracasser ce reflet. Celui d'un gamin assassin qui avait toujours vécu futilement avec richesse et caprices. Mon enfance avait été beaucoup moins égoïste et narcissique, j'avais vécu avec ma mère. Rien ne me préoccupait en ce temps là et puis est venue l'adolescence et tous les besoins matériels. Je m'affichais comme un paon et n'avait aucun respect pour les sentiments des autres. Je ne travaillais pas mais avais tout ce que je voulais entre bonnes notes et cadeaux hors de prix. Rentrer dans l'enseignement secondaire n'a rien arrangé et je cumulais les conquêtes sans remords. J'étais devenu le populaire qui se fichait des convenances. Rien ne comptait plus que mon petit nombril. Je me croyais le centre du monde. Quand je repense à celui que j'étais, ma mâchoire se crispe et une envie de me frapper me traverse l'esprit.

Après l'arrivée de Marc dans ma vie tout à basculer entre l'incendie et la mort de ma mère. Les absences de mon père ne m'avaient jamais préoccupé jusqu'à ce que je me retrouve orphelin. La peur de finir seul à la rue m'a anéantis. Ne pas le voir revenir m'a rendu fou.

J'en avais fini lorsque la Garde est arrivée. Je n'ai plus pensé à rien. Une barrière de haine s'était formée autour de moi, repoussant le monde et les gens qui le peuple. Égoïstement, j'ai pensé me protéger pendant mon séjour en cellule grâce à ce barrage anti-émotions.

Maintenant, ce dôme protecteur n'est plus qu'un drap qui m'étouffe un peu plus chaque seconde. J'ai beau l'enlever, il revient à la charge et je ne peux plus m'en détacher. Ce bouclier s'apparente à une sorte de drogue dont je suis dépendant et le sevrage est difficile. Les seules fois où il est tombé c'était grâce à elle. Kate m'a fait sortir de mes gonds et j'ai traversé la barrière puis comme répondant à un aimant j'ai été attiré et suis retourné dans la prison de rancœur et de colère que je m'étais construit.

Personne ne comprendrait si je l'expliquais. On me prendrait pour plus fou que je ne le suis déjà. La peur me pousse à ne jamais agir. Même sans le montrer, je suis terrorisé. Le pire se produit quand Kate est près de moi. Je réagis au quart de tour sans me préoccuper de ses sentiments. La laissant seule, elle aussi. Mais plus j'essaye de me convaincre de la repousser. Plus elle se fraie un chemin jusque à l'intérieur de mon être. Elle découvre en moi des choses que j'avais négligé. Je n'avais pas rit depuis deux ans. Les sourires n'existaient pas non plus. Je parlais juste pour dire le nécessaire mais Kate m'arrache des mots que je ne veux pas voir sortir souvent au depand des autres. C'est assez étrange de se dire qu'une personne peut vous changer. Kate aussi n'a pas faillit à la règle. En quelques semaines mon estime envers elle s'est accentuée. Cette fille a toujours été une tête de mule, je la prenais pour une enfant irréfléchie mais elle est devenue une femme forte qui n'a peur de rien à part d'elle même.

Nous nous ressemblons sans le savoir ni le vouloir. Nous avons un passé similaire qui pour elle s'est produit il y a seulement quelques jours. Moi aussi j'ai perdu ma mère et je déteste toujours autant mes pouvoirs. Mais elle ne le voit pas comme un fardeau. Je repense à toutes ces fois où une de mes petites flammes l'a émerveillée.

Certaines de ses réactions me font penser aux miennes. Nous sommes des reflets communs mais qui se différencient aussi. Tout est tellement complexe. Rien n'est totalement noir ou blanc, des milliers de nuances nous composent. Ce façonnage est incompréhensible mais nous y trouvons chacun un sens d'une certaine manière.

Je m'arrête soudain comme si elle pouvait m'entendre penser maintenant qu'elle a les yeux ouverts.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant