Chapitre Quarante

1.9K 259 23
                                    

Où est-elle ? A-t-elle été capturée comme moi et Rebekah ? Rien que de l'imaginer, mon estomac commence à remonter en sens inverse. Qui sont-ils ? J'ai envie de penser aux sbires du Dirigeant mais ils ne procèdent pas de cette façon. Nous étions trop nombreux pour ce genre de traitement et trop éloignés du Manoir pour qu'ils s'intéressent à nous. Ils enlèvent seulement une personne à la fois pour passer entre les mailles du filet de la justice. C'est bien trop suspect et risqué d'en capturer trois en même temps. C'est vrai que nous sommes dans un endroit assez reculé des villes mais j'ai toujours la sensation dérangeante de ne pas reconnaître la signature de la Garde.
Mais alors qui nous a enlevé ? Des mercenaires engagés pour faire le travail à leur place ? Sûrement. En attendant il faut que je réussisse à voir quelque chose, je dois trouver un moyen de retirer cette saleté de sac. Je n'arrive pratiquement plus à respirer et je ne peux rien y faire puisque mes mains sont attachés dans mon dos. J'essaye de me balancer d'avant en arrière afin de faire tomber la toile de ma tête. Je mets quelques minutes mais j'y parviens enfin.

    Je prends une énorme goulée d'air comme si mes poumons ressortaient d'hibernation. Je tousse puis commence à retrouver la vue. Le soleil est caché par les branches des pins qui s'élèvent au-dessus de moi. L'ombre qu'ils provoquent donne l'impression d'être dans le noir. Quelques rayons de soleil arrivent à transpercer leur feuillage avec peine et me procure assez de lumière pour voir ce qui m'entoure.

    Des formes noires, deux plus précisément, attendent sous deux arbres opposés. Nos positions respectives forment un triangle. Chacune placée à un angle différent du polygone. Nos ravisseurs sont malins et nous ont éloigné le plus possible les uns des autres, du fait que je n'arrive pas à voir mes compagnes avec plus de netteté. Mais ce qu'ils n'ont pas prévu c'est que j'ai fait de la prison. Et en prison, les menottes sont présentes quelques fois et j'ai toujours réussis à m'en extirper. Je pourrais aussi faire fondre le métal mais je n'en ai pas l'énergie. Cette nuit je n'ai fait que monter la garde. Les filles étaient trop crevées pour y penser et je ne voulais pas courir de risques mais j'en paye les conséquences puisque je me suis endormi juste avant le lever du soleil. Je ne pensais pas qu'une telle chose puisse arriver en si peu de temps et pourtant nous sommes là, menottés, assis parmi les aiguilles des pins et à la merci d'hommes inconnus.

    Je me penche sur le côté pour essayer de dégager mes mains de ces entraves puis attrape enfin une épine et la glisse sur mon index avec le pouce. Je me contorsionne pour voir la serrure des liens, j'introduis le brin solide dans la petite fente. À partir de là, je dois faire très attention afin de ne pas casser l'aiguille à l'intérieur du verrou. Mon cou me fait mal et mes muscles s'étirent difficilement et le font souffrir. Une goutte de sueur descend sur mon front pour arriver sur le bout de mon nez. Ma vision se brouille et je rate mon entreprise. L'épine vient se nicher pile là où je voulais éviter de la coincer.

    Je réfléchis à une autre solution en m'appuyant contre le tronc derrière moi. Mon cerveau s'épuise pour trouver une autre sortie mais il ne trouve rien. Comme quoi je n'aurais pas dû me vanter de savoir retirer des menottes. À chaque fois, je me fais avoir pour des petites choses inutiles mais dans ce cas-là ma vie et celles des filles sont en jeu. Je ne peux plus rigoler.

    Les minutes passent et nos kidnappeurs ne réapparaissent pas. Les deux silhouettes face à moi ne bougent pas plus et je suis toujours au même point. Je me résous à la dernière chose à faire surtout près d'autant de bois. Je me concentre et canalise toute la chaleur sur un point précis : mes poignets. La douce brûlure parcourt mes veines et traverse ma peau pour s'évaporer là où je le veux. Aucune flamme n'est nécessaire, je joue juste avec la température pour arriver à mes fins. La sensation si enivrante de mon pouvoir est dangereuse parce qu'elle n'est là que pour aspirer mon énergie. Je fatigue très vite même pour une si petite action. Je manque de souffle et de chaleur. J'ai froid et je ne me sens pas bien. C'est la même chose quand je suis dans l'eau : je me refroidis, mes pouvoirs s'affaiblissent. Quand Kate m'a demandé si l'eau me faisait du mal, je lui ai répondu par la négative parce que c'est vrai. L'eau ne me fait aucunement souffrir, elle me refroidit juste. C'est un ressentit dérangeant que de ne plus être aussi bouillant que d'habitude. Je déteste savoir ça. Ça ne fait que montrer une horrible faiblesse. Cela dévoile aussi toute l'instabilité de mes capacités. Et je hais penser que je suis vulnérable.

    Je sens le métal fondre en quelques secondes et me délivrer. Je secoue les mains pour casser mes entraves et m'en détacher. Frottant mes poignets, je réalise à quel point les menottes ne m'avaient pas manquées. Je m'appuie sur mes mains douloureuses pour me lever.

    J'avance à tâtons dans l'obscurité et me dirige vers la première ombre. Je veux que ce soit Kate pour qu'elle soit la première à être mise en sécurité mais aux mèches rousses qui se dégagent du sac sur sa tête, j'en conclus que ce n'est autre que Rebekah. Je ne peux pas la laisser juste pour délivrer d'abord Kate alors je me penche et lui ôte la toile râpeuse qui l'étouffe.

    À ses yeux fermés, on voit qu'elle est encore inconsciente. J'ai peur que si j'essaye de la réveiller, elle ne le fera pas. Une croute rouge sombre recouvre sa tempe. J'espère que la blessure n'est pas profonde et qu'elle ne laissera pas de séquelles. Il n'y a que Kate qui pourra le dire, c'est elle la soigneuse.

    Je me dépêche alors de la rejoindre après avoir défait les liens de Rebekah. Étrangement, ses entraves n'étaient que de vulgaires cordes nouées. Ce qui prouve que je leur fait peur ou du moins qu'il se méfie de moi. Ils doivent être au courant de mes capacités, je ne vois pas d'autres explications.

    Sa respiration est rauque ce qui m'inquiète un peu plus. J'enlève le sac et découvre une fille complètement déboussolée. Kate est réveillée et depuis peu. Je pose un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence.

-    Je vais t'enlever tes liens, chuchoté-je discrètement.

    Ses cordes sont les même que Rebekah. Il ne connaissent peut-être pas mes capacités et m'ont mieux attachés sûrement pour éviter de prendre le risque que je me détache plus facilement. Ma carrure les ont peut-être intimidés et ils se sont doutés que j'avais plus de force que les filles ce qui me permettrait de me libérer plus facilement. Je respire un bon coup et m'adresse doucement à Kate avant d'agir :

-    Ça va chauffer un peu mais ne bouge pas.

    Ses yeux bouffis ne se rendent compte de rien alors je prie pour qu'elle m'ait entendu.

Je me glisse derrière elle et lui prends délicatement les poignets. La chaleur sournoise s'infiltre dans les canaux et glisse sur mon épiderme pour atteindre la paille. Un léger nuage noir s'évapore et une odeur de brûlé me pique le nez mais je continue jusqu'à ce que la corde tombe d'elle même comme la précédente. Une fois les entraves tombés sur le sol, je me retourne pour lui faire face.

    Je prends son visage dans mes mains et dis le plus bas possible :

-    Kate, regarde moi. Il faut qu'on parte mais Rebekah n'est pas encore réveillée alors il faut que tu m'aides. Tu comprends ?

    Avant qu'elle ait pu me répondre, un craquement bruyant éclate dans mon dos. On sait tous ce qui se passe. Un second grincement confirme mes certitudes. Ils sont là, je le sens.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant