Chapitre Cinquante-sept

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Je n'en crois pas mes yeux.
     Des rangées de cellules s'alignent de part et d'autre d'un long couloir. Tout est noir de saleté, de moisissure et du manque de lumière. L'odeur est insoutenable, un mélange de sueur et de pourriture m'assaille. Le plafond immense se confond dans l'ombre de l'endroit. Des respirations sifflantes et des toux sèches se répercutent sur les murs. Personne ne parle mais j'arrive quand même à sentir des centaines de vies près de moi.
Mes yeux se plissent essayant de s'habituer à la faible luminosité.

    Je m'avance lentement comme si ralentir allait me permettre de retarder le moment où je serai face aux horreurs du Dirigeant.

Je les vois alors. Ces visages meurtris et amaigris. Leurs petits yeux me suivent dans l'obscurité. Je ne les reconnais pas. Ces gens ne sont pas des Élémentaires. Mais alors que font-ils là ? Les inconnus, tous avec la peau sur les os et de la crasse recouvrant leur corps, me suivent du regard. Cette attention si soudaine m'effraie. Je voudrai m'éloigner le plus possible d'eux et pourtant je ne fuis pas.

    Je prends le risque de m'approcher des barreaux d'une cellule où une petite femme d'âge mûr s'agrippe aux barres de fer.

-    Pourquoi êtes vous enfermés ici ? lancé-je, tremblante.

    Elle me regarde de ses yeux vides, comme sous l'effet d'une drogue. J'ai même l'impression qu'ils sont aveugles mais je ne peux pas le confirmer à cause de la noirceur qui règne dans la pièce. Je répète ma question mais la femme ne répond toujours pas et garde une expression neutre à en faire peur.

    Alors que je me retourne pour continuer mon chemin, elle me parle de sa voix rauque :

-    Parce que je suis une femme non mariée.

    Je me retourne d'un coup, frappée par ses paroles. Je réécoute sa voix dans mon esprit, pour réussir à cerner tout l'ampleur de ses mots. Cette femme n'a sûrement pas adressé la parole à quelqu'un depuis longtemps. Son timbre éraillé et ses hésitations sur certaines syllabes en sont la preuve.
J'en viens soudain à me poser plusieurs questions qui deviennent vite des constatations.
Elle n'a pas de mari et a donc finit ici ? Aurais-je subit le même sort après mes dix-sept ans si le Sous-Noyau ne m'avait pas pris sous son aile ?
La réponse est évidente.
Oui, à cent pour cent. Je serai peut-être même devenue sa compagne de cellule.

    Je me rappelle soudain de ces filles qui faisaient la manche un jour et disparaissaient le lendemain, ce n'était pas parce qu'elle étaient parties tenter leur chance ailleurs, comme je le croyais, mais parce que le Dirigeant les avait enfermées ici.

-    Depuis combien de temps êtes vous là ?

-    Je ne sais pas mais je devais avoir votre âge quand ils m'ont emmenée.

    Je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'elle est là depuis bientôt une quinzaine d'années.

-    Qui d'autres est enfermé ici ?

-    Tout ceux qui ont troublé l'ordre public, qui n'ont pas accepté les décisions du Dirigeant ou ceux qui ont manifesté contre certaines de ses lois. Nous sommes tous prisonniers et jugés comme criminels contre la communauté.

    Les mots se perdent dans ma bouche. Ce n'est pas possible. Le Dirigeant masque ses actions ?! Il y a tellement de choses sur lui que j'ai appris ces derniers mois, et elles sont loin d'être belles mais celles-ci sont encore pire !

-    C'est le Dirigeant qui vous a enfermé ?

    Je connais déjà la réponse mais je veux l'entendre de la bouche de quelqu'un pour au moins ne pas me dire que je suis folle d'imaginer tout cela.

-    Non, c'est...

    Sa phrase est interrompue par un bruit fracassant. Je me retourne pour identifier sa source. Ce cliquetis métallique familier qui se répercute au loin n'a pas d'autre signification. Je n'ai pas besoin de chercher pour savoir que les soldats sont là. Il faut que je trouve une issue à tout prix !

    Je cours en sens inverse et rebrousse chemin. Je ne peux pas avancer au risque de rencontrer la Garde. Je ne veux pas laisser tous ces prisonniers ici mais si je veux les libérer il me faut rester en vie encore un peu.

    Je m'élance et manque de glisser plusieurs fois sur le sol humide. Mais je n'arrête pas et continue jusqu'à gagner les escaliers en bois qui grincent horriblement sous mes pieds. Une fois en haut, je reprends mon souffle et referme la porte derrière moi. Puis je m'affale sur un divan recouvert de poussière.

    Je me prends la tête dans les mains. Il faut que je trouve une solution. Maintenant je dois retrouver mon frère mais en plus libérer tout une prison souterraine du Dirigeant. Le pire c'est qu'il n'y a sûrement pas que des gens comme cette femme. Des criminels, des meurtriers et des voleurs y sont peut-être enfermés.
La réponse de la femme me revient peu à peu en mémoire. Le Dirigeant ne les a pas envoyé en prison mais alors qui l'a fait ? Un subalterne de notre tyran ? Un garde ? Non, impossible, il ne confirait pas une tache comme celle-ci à plus inférieur que lui. Il y a quelque chose qui ne colle pas. Mais je n'arrive pas à mettre la main dessus.

    Je range mes doutes dans un coin de ma tête, le temps de trouver un plan pour récupérer mon frère avant de me faire prendre. Je dois sortir de cette pièce et essayer de localiser Jules. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller mais ce n'est pas ça qui va m'inquiéter. Je dois bannir le stress et l'angoisse. Sans eux, je pourrais avancer et le retrouver plus vite.

    J'enlève la tenue de cuisinière qui m'a ralenti dans ma course tout-à-l'heure. Cette robe va m'empêcher de fuir si les gardes me repèrent. C'est un risque à ne surtout pas prendre si je veux réussir.

    J'enfile mes anciens vêtements qui me paraissent soudain beaucoup plus confortables et pratiques que la robe. Je laisse tout en vrac sur un fauteuil drapé de blanc pour me diriger vers la sortie. J'ouvre la porte et regarde des deux côtés avant de sortir le plus discrètement possible. J'avance sans essayer les autres portes, je sais que Jules n'est pas là, ce serait beaucoup trop facile d'accès.

    Je continue toujours aussi discrètement mon chemin sans rien trouver d'intéressant.

Je sens soudain un changement d'atmosphère. Quelque chose se passe mais quoi ? Je n'arrive pas à trouver l'origine de ce malaise. Je regarde à ma gauche puis à ma droite mais rien n'a changé. Pourquoi cette frayeur si brusque, alors ?

    Je penche la tête pour regarder derrière moi mais des mains m'en empêchent. L'une est plaquée contre ma bouche pour m'empêcher de crier et la seconde me pousse pour me conduire derrière une porte. Un garde m'a eu. Il m'emmène sûrement dans le bureau du Dirigeant pour m'assassiner comme il l'a fait avec Rose !
La peur est à son plus haut niveau quand l'homme qui me retient ouvre une autre porte. C'est un cagibi qui apparaît alors. Que va-t-il me faire ? Me tuer tout de suite pour éviter cette peine à Émeric ? J'ai peur et bientôt je n'aurai plus à ressentir ça.
Morte, je ne pourrais plus rien faire...

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant