Chapitre Trente et un

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Une seule phrase peut tout faire. Construire ou faire s'effondrer les choses. Les changer ou rester pareilles à elles-mêmes. Chambouler une vie, la rendre meilleure ou au contraire la faire basculer vers la tristesse, le mal et la souffrance. En si peu de secondes tout peut changer et à cet instant la seule certitude que l'on m'offre depuis le début de ma pauvre existence m'apporte le plus d'émerveillement et de respect.

    En une suite de mots, Morgan a réussi à prendre tous mes problèmes et à les battre, pas complètement mais temporairement. Les mettre face à une affirmation surprenante mais vraie et indestructible. Je l'ai toujours pensé mais rien n'avait jamais été mis au clair.

    Il a déclaré une promesse depuis longtemps silencieuse et cachée de tous. Il ne me laissera pas tomber.

    Par je ne sais quel procédé ou envie, je me précipite dans ses bras. Je sais que les larmes ne viendront pas, elles ont assez coulé. Même si les pleurs attesteraient de mon bonheur, ils ne sont pas là. Je suis fière de ma force, de la sienne mais aussi de la notre. Celle qui nous pousse à avancer malgré tout. Je suis fière de sa confession à moitié dissimulée. Je peux enfin m'appuyer sur un radeau et ce n'est autre que cette phrase. L'attestation qui me dit que je ne serais plus jamais seule. Jamais. Ses mots pèsent sur mon esprit pour s'y encrer profondément. Je ne pourrais expliquer nos comportements. Tout ce qui se passe est déjà inimaginable alors nos actions doivent aller dans ce sens, je suppose...

    Il m'étreint d'abord avec gêne puis de plus en plus fermement comme par peur que je ne disparaisse. En tout cas ce que je suis sûre c'est que s'il continue, je ne pourrais bientôt plus respirer. J'en ris et lui fait remarquer. Il me lâche alors brusquement pour me reprendre plus doucement. À ce moment, j'ai l'impression de retrouver un cocon familial, certes restreint à une personne mais j'ai enfin trouvé ma maison.

    Mon corps finit par se détacher et mon regard plonge dans le sien. Cette discussion visuelle est remplie de gratitude mêlée à une sorte d'amour incertain, une affection fraternelle et amicale. Je me sens pleinement sereine. Un calme inconnu s'est installé. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. C'est assez étrange de se trouver dans un état pareil après les disputes de ce matin.

    Mais la vie m'a apprise qu'elle ne calcule pas ni ne prévoit ce qui se passera. C'est une grande loterie conçue pour le plus grand malheur ou bonheur des autres. C'est un tissu de bouleversements non contenus.

    C'est pour cela que je ne prévoyais pas ce qui allait se passer.

La pluie a cessé. Je la voie courir dans notre direction, seule la fenêtre nous séparent. Je la reconnais malgré son état pitoyable. Ses vêtements déchirés découvrent un corps salit et meurtrit. Sa chevelure flamboyante a perdu tout son éclat.

    Ses cris muets ne me parviennent pas à travers le verre mais je me lève subitement. Morgan, déboussolé par ma soudaine réaction, ne comprend que lorsque qu'il la voit. Nous nous précipitons dans le hall d'entrée et sortons. Je crois que je vais tomber tellement mes jambes bougent vite. Je ne les vois même plus. Mes yeux sont rivés sur la scène. Elle coure avec les dernières forces qui lui restent. Morgan me devance et la cueille dans ses bras. Il lui murmure des mots pour la rassurer. Pétrifiée, Rebekah ne bouge pas. Son regard affolé se pose sur nous. Je voudrai la bombarder de questions mais j'évite à la vue de son état. Nous quittons le bout de terre de l'auberge pour rejoindre notre chambre. Les clients n'ont pas vu ce qui s'est passé grâce au peu de chance que nous avons. Je referme la porte de la chambre. Morgan la dépose sur son lit. Elle tremble.

-    Que s'est-il passé, lui demandé-je le plus doucement possible.

-    Garde.

    Ce seul mot me coupe le souffle. Je déteste ces soldats un peu plus chaque minute mais à présent, je les hais.

L'horreur de la situation me percute.

-    Qu'ont-ils fait ? enchaine Morgan.

-    Ils nous... ont... capturées...

    La voix rocailleuse de Rebekah me brise le cœur. Rien que d'entendre ça mes poings se serrent et la colère monte en moi comme un doux parfum familier.

    Elle continue toujours aussi difficilement :

-    Puis... relâchées.

-    Quoi ? faisons nous avec Morgan.

-    Plus besoin de nous... plus pouvoirs... sert à rien...

-    Comment ça tu n'as plus de pouvoirs ? questionné-je, inquiète.

    Elle hausse les épaules et articule enfin une phrase complète au pris d'un gros effort :

-     Ils nous les ont pris.

-    Comment !?! explosons-nous.

-    Tout le monde... plus pouvoirs...

-    Où sont les autres ? l'interroge mon compagnon.

-    Manoir.

    Nous nous regardons. Morgan et moi nous sommes compris. Ils les détiennent dans la demeure secondaire du Dirigeant. Je vais enfin retrouvé mon frère. Mais s'ils sont bien là-bas, comment Rebekah a-t-elle faite pour arrivée jusque là ? Que fait-elle ici ?

    Je lui pose ces questions et elle explique que cela fait une semaine qu'elle cherche une ville. Elle a dû se perdre mais elle ajoute qu'il n'y a rien aux alentours du manoir. Le Dirigeant n'a pas fait les choses à moitié, un endroit reclus dans une forêt est parfait pour se débarrasser de potentiels ennemis. Une boule obstrue ma gorge rien qu'à cette pensée. Tout ça est horrible mais mon premier réflexe a été de sortir prendre un peu de nourriture au buffet. Je me moque des regards suspicieux des clients et fonce vers la chambre. Une fois devant notre nouvelle camarade, je déballe les aliments et la force à manger.

    Elle reprend un minimum de couleur à chaque bouchée. Elle réussit enfin à parler par à coup mais avec des phrases complètes. Je ne peux imaginer ce qu'elle a traversé. Nous l'envoyons se laver et je mets toutes mes affaires à sa disposition. Rebekah a changé, je ne retrouve plus la fille qui avait toujours la langue bien pendue, cette fille qui ne m'appréciait pas trop et me le montrait à chaque occasion. Tout ça a disparu. Il n'y a plus rien. Nous avons troqué notre ancienne vie pour une autre qui ne ressemble qu'à une suite de drames. Le monde doit changé et nous ne faisons exception à la règle. C'est un cycle naturel. Devant ces sombres réflexions mon repas commence à faire le chemin en sens inverse.

    À chaque nouvel affrontement avec l'avenir nous nous endurcissons ce qui me pousse à vouloir le meilleur pour tous. Je veux retrouver mon frère, mes amis, mes parents. Mais certains ne reviendront jamais et je le sais. Mais il n'y a une chose qu'il ne pourront pas m'enlever c'est mon espoir. Il m'a fait bien défaut ces derniers temps mais il me porte à faire des choses que je n'aurais jamais imaginé. La guerre transforme chacun d'une façon différente et certains se démarquent comme résistants, rebelles. Maintenant nous en faisons partie et notre volonté va tout renverser. J'en suis sûre.

    Rebekah sort de la petite salle de bains propre comme un sou neuf. Sa tignasse si rousse ressemble plus a une serpillère mais sinon elle a bien meilleure mine. Un faible soulagement parcourt mon corps. Mais ce nettoyage révèle aussi toutes ses blessures dont certaines sont déjà infectées. Je n'ai pas utilisé mon pouvoir de guérison depuis longtemps mais je m'avance tout de même pour l'assoir sur mon matelas. Je ferme les yeux et visualise déjà mieux toutes les plaies. Mes paupières fermées m'offrent une image totalement différente. Je ne saurais la décrire spécifiquement mais tout est noir et les coupures se détachent par leur couleur verte fluorescente, selon l'intensité des lumières émeraudes la balafre est plus ou moins importante. Le corps de mon amie est aussi lumineux qu'un soleil. Je me concentre et rejète toutes les tensions avec une courte méditation. Mon esprit est totalement centré sur les taches vertes. Un flux chaud se répand dans mes veines, la sensation touche mon bracelet qui commence une danse envoûtante pour étaler ses feuilles éclatantes sur sa peau. Je sens les lésions se refermer et disparaître. Chaque parcelle d'épiderme reprend sa forme initiale : saine et propre. Avec plus ou moins de difficultés pour certaines entailles mais je finis tout de même par remettre en état. Sa peau est comme neuve. Avec l'expérience, je me fatigue moins mais un épuisement massif s'abat subitement sur mes épaules et je m'effondre par terre.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant