Chapitre Vingt-huit

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Le ciel nous enveloppe dans son doux manteau sombre. Les étoiles pointent le bout de leur nez, brillant toutes d'une lueur hésitante. Comme nous. Morgan et moi ne savons pas quoi faire ni comment agir. Une situation compliquée s'est installée alors que ça ne devrait pas. Le plus dur est l'aventure dans laquelle nous nous prêtons à entrer. Normalement, ce voyage devrait être le problème. Mais il ne l'est pas. Cette gêne, cette ambiance pesante, c'est elle le fond de nos ennuis. C'est une chose niaise que nous ne nous pouvons nous enlever. Une communication complexe et presque inexistante si nous omettons les disputes insensées. 

Pourquoi corser ce chemin vers mon frère et cette atmosphère qui est déjà assez confuse ? Je suffoque presque, coincée encore une fois de plus dans ce brouillard asphyxiant. Nous ne devrions pas en rajoutez mais deux caractères aussi difficiles que les nôtres ne sont pas simples à gérer.

Oublier un instant ces derniers moments et se concentrer sur les choses anodines du quotidien nous sauvent. J'étends deux fines couvertures à même le sol -c'est mieux que rien. Pendant que lui prépare le cheval pour la nuit. 

J'ai tellement passé mon temps à dormir par terre que je ne sens presque plus la différence. Si, mais je ne me souviens plus très bien ce qu'est un vrai lit, une vraie nuit. Une nuit sans rêves et reposante, sans aucunes blessures physiques ou mentales, dans des couettes duveteuses et rien prévu le lendemain. Sans aucun drame à affronter à son réveil. Sans aucun mort sur la conscience. Impossible. Nous avons franchit la barrière du calme, de la sérénité pour retrouver le mal, ce déchirement supplique qui nous étreint un peu plus chaque minute. Pour nous enlacer jusqu'à l'étranglement. Quand cela arrivera, je ne serais pas prête, je ne le serai jamais.

Je me glisse sous la couette et me cale dans cette herbe qui a repris de la vigueur après mes soins. Son odeur me rappelle tant de souvenirs que je préfère oublier. L'oubli, refuge du déserteur. De celui qui fuit la vie, la réalité. Moi, je me fuis moi. Je cours le plus loin pour ne plus me voir. Calamités et déchets parmi tant d'autres, je répands les morts sur mon passage. Il y a d'abord eu les résistants, puis mes compagnes de chambres et leurs amis, tous disparus, Juliette, maman et Jules. Mais je vais le sauver. Récupérer mon frère. Réparer cette ultime fissure qui manque de me faire effondrer. En recollant ces petites ridules supplémentaires, je voudrai réussir à ne pas briser la seule chose qu'il me reste. L'espoir de le retrouver. Ce sentiment affligeant qui malgré tout vous suit jusqu'au bout des tourments.

Je me tourne vers l'homme aux yeux verts, maintenant allongé non loin de moi. Ils ne sont plus visibles, cachés sous ses paupières papillonnantes. Un rêve ou cauchemar doit le visiter, reflétant la peur que j'ai à dormir. Si mes yeux se ferment, ils laisseront places aux démons de la nuit. Je ne veux pas les voir. C'est pour cela que je reste éveillée le plus longtemps possible. Mais éreintée, je ne tarde pas à sombrer dans un sommeil habité des monstres du passé.

Je le voyais si haut dans le ciel, ce soleil. Jaune clair, présageant une si belle journée. Il m'indiquait la route à prendre et je le suivais. Ne sachant ce qui m'attendait, je sifflotais d'un air absent. Siffler, je n'ai jamais réussi à le faire. Preuve tangible révélant la nature de ces images. Un rêve. Une forêt apparut subitement. L'astre du jour laissa place à celui de la nuit. Je ne voyais plus rien mais entendais très bien cette petite voix :

- Tu es forte et tu vas réussir.

Je m'approchais. Une silhouette se dessinait sur le gazon tondu. J'ai une impression de déjà vu.

Je me rappelle soudain quand un rayon de lune transperce son visage et que ses lèvres articulent, comme dans un retour en arrière :

- Fais ça pour moi, pour toi. Je serai un poids mort si tu me soignes.

- Non, guérie, tu iras beaucoup mieux, voyons c'est logique.

Je reconnais le second interlocuteur, c'était moi. Penchée au dessus de son corps, je la suppliais. Des larmes roulaient sur mes joues marquant mon air désespéré. Tout se passa une nouvelle fois. La bulle d'eau qui éclata, les étouffements de Juliette ensuite vint le silence puis le soldat et les cris. Ses cris qui me hantent encore aujourd'hui.

La scène laissa place à une pièce neutre. Les murs blancs se recouvrirent bientôt d'un papier peint fleuris et jaunit puis les meubles prirent place un à un. Le lit apparut pour clouer le spectacle.

Une ombre noire, comme une encre sauvage sur du papier fragile, surgit. Une lueur malveillante dans le regard, la même que celle se reflétant sur sa lame. Le coup de grâce cueillit ma mère. Le poignard effectuant son travail de tortionnaire. Il s'enfonça dans sa chair laissant un torrent de sang rouge qui se colorait en noir imitant l'ombre. Puis tout se bouscula. Je suis le jouet de ce cauchemar. Je me retrouvais maintenant au milieu de milliers de cadavres sanguinolent qui m'attrapaient les bras et les jambes. S'accrochant de toutes leurs forces. Je voulais me détacher de ces morts-vivant au visage douloureux et défiguré par leur mort. Il me criaient des supplications incompréhensibles. Je fus prise dans ce tourbillon de putréfaction. Ils me tenaient et me tiraient vers le fond. Je disparus bientôt sous les membres déchiquetés et  mon cri en fut étouffé.

Je me réveille en sursaut. Le cri que je n'ai pas pu finir continue dans ma bouche. L'horreur s'empare de moi. La peur me traque et chaque bruit devient une épouvante. Je frisonne, mes hurlements coincés en travers de ma gorge. Je ne sais plus quoi faire pour sortir de cet enfer. "Au secours" ne me paraît même plus approprié. J'ai besoin de quelque chose de plus fort. Par exemple ses bras qui m'entourent délicatement. Cette chaleur maintenant si familière mêlée à cette voix basse :

- Chut... Chut... Tout est fini. Ne t'inquiètes pas.

Je ne peux pas répondre. Parler est une épreuve. Ma voix mouillée par les sanglots retenus. Aucune larme mais une frustration haletante. Je voudrai que mon âme se détache de ce corps pour aller se fondre dans un autre qui aurait des problèmes moins compliqués ou alors sans aucun soucis. Tout serait tellement plus facile. Mais la vie m'a apprit une chose, elle n'est pas là pour nous simplifier la tâche. Au contraire, elle recherche la torture et l'applique à tous ceux sur son passage. J'ai le malheur de m'y trouver et elle n'y va pas de main morte avec moi.

Je n'ose plus fermer les yeux.

- Rendors toi, me chuchote Morgan.

- Non, dis-je, apeurée de retourner une nouvelle fois dans cette fausse réalité que sont les cauchemars.

- Si, tu en as besoin.

- Non...

- Kate, s'il te plait.

- Je ne peux pas.

- Si, mais tu ne veux pas.

Je renifle. Il se détache me reposant dans mon lit de fortune. Mais dès que mes paupières s'abaissent, les morts me hantent et je crie de plus belle. Il accoure et me reprend dans ses bras. C'est impossible, je n'y arriverai pas.

- Tu veux que je reste ?

Je ne comprends pas. Il est déjà tout le temps avec moi. Cela ne lui suffit pas ? Je suis déjà assez agaçante comme ça. Il n'a pas eu sa dose ? Je sais qu'il a mis ses impressions de côté pour m'aider. Il est passé par là, je le sais. Dis comme ça on a l'impression que je sais tout mais je reste la fille la plus ignorante, celle qui ne connaît rien ni personne assez bien pour les comprendre alors que les autres le font sans arrêt. Peut-être, Morgan, veut-il faire ce que personne ne lui a apporter : du soutien. Son geste me touche et je hoche faiblement la tête. Il repose lentement mon visage dans l'herbe et laisse assez de place entre nous deux tout en y ajoutant une proximité réconfortante.

- Merci Morgan.

Il ne répond pas.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant