Chapitre Trente-cinq

2K 267 2
                                    

La facilité avec laquelle les mots sortent de sa bouche me déconcerte. Il doit avoir l'habitude maintenant même si c'est difficile. Je l'admire pour sa force, lui ne pleure pas comme moi.

Mais ce qu'il a vécu est horrible. C'est presque inqualifiable.

Il n'arrête pas, je pense avoir ouvert une porte qui ne se refermera que lorsqu'il aura vidé son sac :

- J'y suis resté quatre mois, je crois, mais, un jour, Marc est venu dans ma cellule et m'a pris sous son aile. J'ai ensuite intégré l'aile spécialisée pour les Élémentaires. J'ai été mis à l'écart comme en prison. J'avais créé un tel bouclier que je n'autorisais personne à me parler à part Marc. J'étais violent et j'ai dû brûler beaucoup de mobilier avant de me calmer. Marc a été mon professeur mais je dirai plus le seul qui osait m'approcher. Mes crises se produisaient plusieurs fois par jour et les autres ont eu peur. Je voulais qu'on m'enferme, au moins je ne pourrais plus faire de mal emprisonné. Mais ce n'était pas l'avis de mon prof qui a voulu améliorer ma résistance. J'ai passé un an et demi à m'exercer. Quand tu es arrivée ça ne faisait que quelques jours qu'il m'avait assigné à son poste. J'avais refusé pour ne pas perpétuer mes accès de colère mais il n'était pas d'accord. Au fur et à mesure, j'ai réussis à me canaliser mais des fois c'est trop dur. Ça fait des semaines que je n'en ai pas fait mais j'ai encore plus peur que ça arrive. Je ne sais pas à quoi m'attendre, à quelque chose d'encore pire ?

- Je ne sais pas.

À ce moment là, je n'ai aucune réponse assez adéquate face à ces révélations. Je m'attendais à ce genre de chose mais l'entendre est abominable. On l'a enfermé ? Il a été accusé du meurtre de sa mère ! Je culpabilise assez de ne pas l'avoir protéger mais lui que doit-il penser ? Tout le monde l'a poussé à se comporter comme un meurtrier, comme une erreur de la nature à cause de ses pouvoirs ! Pourquoi est-ce que je me plains déjà ? Je suis une vraie gamine de m'imaginer que je suis la plus malheureuse du monde. C'est mal de se dire qu'il y a pire dans le monde mais c'est vrai. L'optimisme n'a jamais été une de mes qualités mais c'est ce que je ressens en ce moment. Certes, j'ai vécu des choses que personne ne devrait jamais vivre mais je ne peux pas rester dans mon trou à me lamenter. Lui, a avancé malgré tout, à force d'efforts, il a fini par se contrôler alors moi aussi je peux en être capable. Le plus difficile c'est d'oublier parce que c'est impossible. Par contre se reconstruire est plus facile, contraignant mais réalisable ! Je suis capable de tout, l'humain peut tout faire. Ce qui l'empêche d'agir n'est que son esprit. Mes pensées sombres, mes pleurs et mes peurs m'ont empêchée de bouger et m'ont amenée à tomber. Maintenant je sais que mettre un pied devant est simple, je n'ai juste qu'à répéter l'opération pour me sortir de ce bourbier.

Sa situation ne devrait pas m'apporter du bonheur mais c'est le cas pourtant. Cela me permet de relativiser. Je ne vois que des possibilités qui m'attendent. Un entrain enterré depuis longtemps se réveille. Des portes s'ouvrent d'autres se ferment. Un chemin se dessine au loin, ne m'attendant que pour le fouler. La lumière m'aveugle, la peur, compagne de toujours, est familière et me porte tout en me mettant en garde contre ce rayon blanc qu'est l'espoir.

Il faut que je retrouve Jules, le faire n'est plus une obligation ou un devoir mais une envie. Une envie empressante et grandissante, celle de revoir mon frère.

Je saute sur mes pieds et noue mes mains sur son cou pour le remercier. Mes jambes de chaque côté de ses hanches, je l'enserre fort et respire son parfum de nature. Je savais quoi faire avant mais maintenant je veux le faire. La volonté m'a manquée. Je faisais tout par nécessité maintenant c'est différent !

Morgan finit par me rendre mon étreinte mais il trébuche sous mon poids subit et nous nous étalons dans l'herbe.

Je ris, un rire vrai et sincère. Je me libère à travers ce son. Je n'ai pas le bonheur tant désiré mais d'un côté, cela peut paraître étrange, mais je suis heureuse.

Ses yeux verts me scrutent comme pour identifier la cause de mon soudain changement d'expression. Je ne suis pas malade, j'en suis sûre mais aucun besoin de le préciser, il le sait. Morgan plonge sa tête dans mes cheveux et me serre plus fort. Je fais de même. Nous avons tous besoin d'un peu de réconfort, d'affection dans ce monde qui ne cesse de s'effondrer de jour en jour.

Son souffle se fait plus rapide et là il lâche un cri rauque qui se transforme en un éclat de rire franc. Son rire me réchauffe, grave mais doux à l'oreille. Nous rions tous les deux. Celui qui passerait par là ne comprendrait pas le situation, comme nous d'ailleurs. Ce rire marque une délivrance mais différente pour moi comme pour lui. Il ne m'a pas tout dit mais je le connais un peu mieux et il a besoin de temps. Je suis encore une inconnue pour Morgan. Nous ne parlons jamais sauf pour se disputer mais j'espère que ça changera.

Morgan se calme et chuchote dans ma tignasse :

- Je ne l'ai jamais dit à personne. Et ça fait du bien.

- Je sais.

Mes répliques ont vraiment besoin d'une coup de frais mais je m'en fiche. Nous n'avons plus besoin de parler pour l'instant. Alors nous restons chacun dans les bras l'un de l'autre. Seul avec nos pensées, ensemble avec nos actions. Mes yeux se délectent de la nuit étoilée et de la lune qui répand ses rayons sur nous. Des reflets argentés coiffent les cheveux décoiffés de mon compagnon. Une dernière image paisible avant de fermer les yeux.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant