Chapitre Quarante-cinq

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Nous avançons encore pendant une heure. Alors que la fatigue commence à se faire sentir, nous apercevons les lueurs qui émanent des tentes. Dans le noir, ce ne sont plus l'arc-en-ciel que j'ai vu la première fois mais une multitude de petites lucioles qui virevoltent dans la nuit.

Les renégats veulent vivrent dans le secret pour ne pas se faire prendre par les autorités mais pourtant ils ne se restreignent à rien. Ils vivent normalement sans faire réellement attention. Je comprends alors leur avantage : nous sommes perdus dans un coin du secteur sud où il n'y a que des arbres et des prairies. C'est aussi pour ça que le Dirigeant a préféré installer ses victimes dans cet endroit perdu. Les renégats ont pris notre tyran à son propre jeu, ils sont proches pour écouter l'ennemi et être assez éloignés pour qu'il ne s'en rende pas compte. Invisibles sans vraiment l'être.

Morgan ne m'a pas lâché et essaye encore de me sonder mais je reste à l'écart pour l'en empêcher. J'ai beau m'éloigné, il revient toujours comme un yoyo. Ce petit objet que les autres enfants pouvaient s'acheter mais que je ne voyais que de loin faute d'argent m'amusait toujours mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Morgan, je le vois, mais il est inaccessible parce que je le souhaite. Il ne doit pas savoir qu'à chaque pas qu'il fait vers moi, je recule de plusieurs mètres. Je n'ai pas envie de lui faire du mal. Tous mes proches ont souffert, je ne veux pas qu'il en fasse partie.

Nos pas foulent la terre. On entend le son de nos semelles résonner dans le silence du soir. Des ombres bougent derrière les toiles des habitations. Les trois garçons nous guident vers une tente en particulier. C'est difficile de ne pas savoir qui se trouve derrière cette toile.
Quand je pense à ceux qui doivent nous attendre derrière cette fine couche de tissu, j'ai une envie subite de faire marche arrière. Je n'ai pas envie de les revoir. Ce sont des inconnus à qui j'ai dû accordé ma confiance sous la contrainte pour être ensuite trahie. Je n'ai même pas besoin de leurs explications. Je m'en fiche, tout ce que je veux c'est mon frère et je sais que je prends trop de temps pour le retrouver. Ça fait bientôt deux semaines qu'il a été capturé. Je ne peux plus faire traîner les choses mais j'en suis incapable.

Hélène est assise derrière un bureau de fortune pendant que Marc examine avec attention un ouvrage posé sur ses genoux. Assis par terre comme ça, il a l'air plus accessible mais ce n'est qu'un leurre.

Ils lèvent la tête à notre entrée. Leurs yeux clairs reflètent leur surprise.
Le temps des explications, trente minutes de plus sont ajoutées au compteur.

- Comment avez-vous fait pour ne pas les reconnaître ? demande la grande blonde dont les quelques cheveux gris brillent à la lumière.

Sa question s'adresse aux garçons mais elle nous concerne tous. Ils s'expliquent du mieux qu'ils peuvent mais les deux adultes restent méfiants malgré tout.

- Il n'y a eu aucun drame alors aucun fautif n'est à trouver, dis-je. Personne n'est gravement blessé. Il y a eu plus de peur que de mal comme on dit, finis-je.

- Oui, c'est sûr, mademoiselle Wilson, commence Marc, mais ce n'est pas à reproduire ni à négliger. Je veux que vous alliez tous voir Constance après cet entretien.

Étrangement ce nom me rappelle quelque chose mais je n'arrive pas à mettre la main dessus. Hélène approuve le discours de son coéquipier :

- Marc n'a pas tort. C'était dangereux et nous ne voulons pas que vous vous entretuiez au lieu de contrer le véritable problème.

Sa phrase me met hors de moi. Comment peut-elle dire ça ? Dans quel monde vit-elle ? Je vire au rouge et éclate :

- Le véritable problème ? C'est comme ça que vous appelez le Dirigeant ? Ce démon qui tue tout ce qui se trouve sur son passage ? Ce type qui détient mon frère et nos amies ainsi qu'une armée entière prête à nous décimer, n'est qu'un problème ? Vous ne vous rendez pas compte, je crois ! Mais bien sûr que non ! Vous ne pensez qu'à faire votre boulot et ensuite passer à autre chose. Mais je peux vous dire que toutes ces vies sont bien plus importantes que les notre. Vous nous sermonnez parce qu'on a fait une erreur et qu'on aurait pu y passer aujourd'hui, faute de vigilance. Mais vous devriez plutôt vous inquiéter pour ceux qui en ont le plus besoin. Vos petits soldats savent prendre soin d'eux et, au pire, ils meurent et vous les remplacez. Vous savez, vous entendre dire que cet assassin qui nous tyrannise depuis plus de vingts ans est seulement pour vous un "problème" me donne la nausée ! Nous nous battons pour sauvez le peu qui reste de notre société pas pour éliminer et passer à une autre cible. Je ne suis là que pour votre bouffe et un lit, rien d'autre ! Vous n'êtes que des traîtres qui nous ont manipulés. Entre Hélène qui s'amuse à se faire passer pour morte et Marc qui change de camp quand bon lui semble, vous faites une belle paire de salauds !

Une fois mon sac déballé, je ne peux plus les regarder en face. Je suis lâche, j'en suis consciente. Et je ne peux faire face aux conséquences de mes paroles alors je sors en trombe de la tente et cours, cours le plus vite possible. J'ai honte. Je m'en mords les doigts. Ma bouche n'aurait jamais due prononcer ces mots et mon cerveau n'aurait pas dû autoriser leur sortie. La culpabilité m'envahit pendant que je trouve refuge entre les branches d'un arbre. Il y a le choix avec toute cette forêt mais je n'ai pas pris le plus éloigné. Je me suis jetée dans le premier que j'ai vu. Heureusement ses branches sont assez élevées pour qu'on ne me discerne pas dans le noir. Il est un peu haut et je n'en ressens les effets que maintenant. Dans ma précipitation, j'ai grimpé et l'adrénaline m'a bien aidée. Tout de suite, je me retrouve recroquevillée sous des branches à penser que je ne suis qu'une moins que rien. Je sais critiquer mais quand il faut agir, je suis absente. La preuve, je n'ai pas encore retrouvé Jules après quinze jours de recherches. Je pète un câble. Je ne suis pas faite pour la pression, le danger et tout ce qui se passe. Mes épaules ne sont pas assez larges pour faire face à tous ces drames. Je n'arrive pas à oublier et je m'enferme dans une vision fausse. Je me convaincs, seule, que je suis capable de tout mais ce n'est qu'une illusion. J'imagine tout. Cette voix, ma chance avec Morgan, mes amies, mon frère. Je crois que je peux tout avoir. Mais personne n'a jamais encore atteint les étoiles et je ne serais pas la première à y arriver.

Des sons étouffés me parviennent de la tente sans que j'arrive à les identifier mais je sais que ce n'est rien de bon. Par contre, un bruit particulier attire mon attention. C'est un craquement sec qui est tout proche. Je cherche sa provenance et tombe sur une chose que j'aurais dû prévoir. À chaque fois c'est la même chose et ça commence à m'agacer. Je pense directement à de nouvelles résolutions mais je ne crois pas les tenir un jour alors j'oublie. Lui par contre n'a pas oublié. Il me regarde de ses iris verts, attendant un quelconque signe de ma présence. Il sait que je suis là mais il veut monter et je dois lui en donner la permission. Il ne me brusque pas quand je suis dans cet état là et je devrais l'en remercier mais je n'en ai pas le cran. Je hoche une seule fois de la tête et il s'empresse déjà de s'accrocher à l'écorce pour me rejoindre.

Quand il arrive à ma hauteur, il n'est même pas essoufflé. Je ne l'aide pas à monter, il se débrouille très bien seul. Il est à l'étroit sous les multitudes de branches basses et met un peu plus de temps pour arriver à coté de moi à cause de ces dernières mais il ne bronche pas. Morgan est un peu trop près et je me décale mais il se rapproche pour prendre ma main et chuchoter :

- Ne renie pas tes convictions. Tu ne penses pas comme les autres et ce n'est pas à proscrire. Tu as le droit d'être différente, Kate.

Ses mots se créent un passage et remplissent mon esprit. Ils me font du bien et je me sens mieux. J'ai besoin qu'il me parle encore. Morgan a ce pouvoir de me rassurer, de raviver le peu de confiance que j'ai en moi. Il réveille des facettes endormies de ma personne. J'aimerai tant lui renvoyer l'ascenseur.

- Comment tu fais ?

- Quoi ?

- Pour me consoler comme tu le fais, précisé-je.

- Je te donne ce qui te manque. Du soutien, de la compréhension et une dose d'amitié.

- D'amitié ?

- Ou d'amour, tu peux choisir.

Je ne sais pas ce que je dois en penser. De l'amour ? Mais quel genre d'amour ? Celui que je porte à un ami, à un frère ou à... Je n'ai même pas la force de le dire. Je ne sais pas quoi choisir. Mais lui le fait à ma place et je le laisse faire.

L'Élémentaire {En Réécriture}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant