HOT CHILI - saison 6 ✤ volume 1/2

S06 - EP 03 ✤ part II

Partie 2/4

Rudy battit des paupières. Ses réminiscences avaient redistribué les cartes de sa colère, une partie sollicitée par le couple de son père. Cela le frappa soudain que c'était la première fois qu'il discutait sans filtre avec son grand-père. Ce dernier ne contenait plus ses émotions dans son carcan d'austérité. Vince lui montrait son exaspération, son amusement, sans lui laisser le sentiment de se tenir sous l'œil juge du grand manitou Leblanc.

Rudy ne passait plus pour un petit boulon face à un mécanisme hypercomplexe de ressors à double-spires et d'engrenages gigantesques façon steampunk. Cependant, un seul boulon pouvait faire la différence dans un montage. Et Vince l'admettait puisqu'il adaptait son discours en conséquence.

— D'après l'écrivain et journaliste Georges Orwell, « dans ces temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire ». Mais sais-tu ce qu'on fait des révolutionnaires, Rudy ? On les mate, asséna-t-il avec une platitude cynique. L'histoire de l'humanité a connu et continuera de connaître son lot de révolutions étouffées. Certes, de grands changements sont amorcés à l'issue de révolutions. Mais c'est triste à dire, les leaders, les têtes pensantes de ces soulèvements ne sont pas toujours là pour voir les retombées de leurs actes contestataires. La plupart meurent avant.

La respiration de Rudy connut une pause. Il n'aurait pas rattaché cet argumentaire à cette citation. Cependant, la négativité de cette réflexion lui était familière. Son ascendance lui enseignait la vie avec cette doctrine de wrong way addict. Il voyait de qui Dean tenait ce défaut. Et l'homme osait nier la ressemblance avec son fils... Connerie !

— Qu'est-ce que tu essayes de me faire comprendre ?

— J'essaye de te faire comprendre que les informations que tu me demandes...

— Je me contrefiche qu'elles soient classifiées ! balaya-t-il, sec. Je veux qu'on m'explique pourquoi on en est arrivés là. Pourquoi on en est arrivés à vous, qui décidiez de lorgner du côté de l'armée au point d'envoyer un pauvre innocent à la mort, alors que vous ne manquiez de rien à la tête de votre puissante multinationale ! Je ne dirigerai pas cet Empire, si je dois marcher dans les pas de prédécesseurs assassins !

Les tendons de son cou saillaient de colère. Son ire enflammée trouva écho en celle de Vince, pourtant glaciale.

— Parle de ce que tu sais, jeune impertinent !

Le Vince du contrôle effleura la surface. Tant mieux, songea Rudy. Il ne comptait pas mâcher ses mots. Vince renifla, ironique.

— C'est là qu'apparaît la première différence entre le père et le fils. Dean n'aurait jamais traité « l'Empire » d'assassin. Il avait beau l'exécrer, il prenait malgré tout sa défense contre ses détracteurs, se souvint-il, un peu nostalgique. Il le traite de dionée au parfum de lys. Il est plus poétique, s'en amusa-t-il.

— Il n'a pas encore eu ma version, opposa Rudy. M'est avis que sa poésie lyrique s'enrichira de mots plus fleuris après ça.

Il fulminait toujours. Vince se permit de rire. Son hilarité lasse céda à un long soupir. Il se rencogna dans son fauteuil et s'obligea à se détendre.

— Ta version est tronquée, mon grand. Inexacte et inachevée. Dangereuse. Avec elle, tu pousseras Dean à commettre des actes qu'il regrettera toute sa vie. Tu n'aimerais pas conduire ton cher père sur cette voie, n'est-ce pas ?

Rudy ne pipa mot. La douceur dans la voix de Vince n'avait pas dissimulé son message. Cet homme était prêt à tout pour défendre ce qu'il avait bâti de ses propres mains. Quitte à écarter un fils.