Partie 3/4
Top-modèle au sommet de sa carrière à vingt-quatre ans, Glenn avait appris une loi impitoyable de la mode : la loi du plus fort et de l'hypocrite. Dans son métier, l'hypocrisie était fashion, les coups de putes trendy, et les coups bas mainstream. Savoir les rendre garantissait votre survie. Conseil gratuit d'un ami, facturé cher par un ennemi.
Jauger son adversaire avant de présumer de ses forces restait le meilleur moyen d'échapper à un retour à l'envoyeur. Ça ne marchait pas toujours. Jamais avec un Leblanc. Avec cette engeance, comme disait Confucius, vous voyiez vos ennuis de près quand votre pensée n'allait pas loin. Glenn les voyait en haute définition. Il était victime d'un chantage éhonté et cela lui minait le moral.
La sensation d'une épine dans le pied était préférable à celle d'une épine dans le cul. Dans le pied, on sautillait ou boitillait le temps de trouver une assise pour se déchausser puis s'affranchir de la nuisance. Dans le cul... Il se pouvait que l'on soit obligé de présenter son postérieur de façon embarrassante à un tiers qui retirerait la gêne. Glenn avait une épine dans le cul et aucune aide.
Ce chantage nuisait à ses performances, rognait davantage ses rachitiques heures de sommeil. Or en pleine fashion-week, son bagage professionnel lui interdisait les incartades. Junior l'avait changé en coursier. Pour l'instant. Il n'était pas à l'abri d'une nouvelle lubie. Dans les villes foulées du pied durant la semaine de la mode, le garnement l'avait envoyé récupérer un item commandé tranquillement depuis chez lui. Glenn avait dû se plier en quatre avec son agenda chargé.
À New York, il avait participé à une vente aux enchères pour acquérir des pièces authentiques de décoration d'une mustang première génération. La consigne : « ne reviens pas bredouille ou je te livre à qui tu sais ». Glenn avait dû bluffer sur des sommes qui lui auraient défrisé le cheveux, s'il ne se rasait pas la tête. Il avait manqué finir aux arrêts, lorsque le commissaire-priseur avait réalisé qu'il n'était pas Torcy-Junior Reich-Andriana. Le préjugé sur les noirs voleurs avait encore un bel avenir.
Maintenant, Glenn se trouvait à Paris et des heures de train le séparait d'un millésime bordelais. Le vignoble refusait de livrer ses bouteilles scandaleusement coûteuses, car le vigneron ne les remettait qu'en mains propres à une clientèle très sélecte. Il n'aurait jamais le temps de s'y rendre. Or la consigne n'avait pas changé. « Ne reviens pas bredouille, sinon... »
S'étant lui-même jeté dans la gueule du loup, Glenn n'avait pas fini de s'en repentir. À deux reprises, il s'était frotté à plus fort que lui. Pour n'avoir pas appris la leçon la première fois, il s'en mordait les doigts. L'horloge de son portable lui annonça encore une longue heure d'attente dans les coulisses. Augmenter le chauffage serait-il du luxe ? À qui se plaindre ? Il parlait à peine un mot de français, même s'il en captait des bribes.
Personne n'avait le temps de s'inquiéter de sa frilosité. Mais quelques degrés supplémentaires fluidifieraient ses idées. Comme ses miches, elles se gelaient dès qu'il pensait à Torcy-Junior. Les cent pas dans l'espace exigu le réchauffaient à peine. Putain, pourquoi avait-il merdé ? La réponse à cette question s'appelait « regrets ».
— Glenn !
Il leva brusquement la tête. On l'appelait depuis un moment. Le français rapide du créateur lui parvint :
— Bon sang, il fout quoi ce godelureau ? Cet imbécile va foutre en l'air le timing !
Le mannequin recourut à une respiration ventrale pour se calmer. Qu'est-ce qui l'empêchait d'envoyer tout valdinguer ? Ah, oui, il avait assez merdé. Il deviendrait la risée des salons s'il claquait la porte au nez à une maison reine de la fashion-week. La pensée lui vint, caustique, que ce créateur aurait été mielleux et aux petits oignons avec Dean. De toute façon, le contrat de ce dernier lui épargnait les défilés. Trop souverain pour ramper sous les ordres d'un designer... Ou il n'a pas besoin de ce métier pour vivre. Moi non plus, d'ailleurs.
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HOT CHILI - saison 6 ✤ volume 1/2
Romance. Pour le clan Leblanc, folie des grandeurs est raison. Est-ce acte de folie ou résolution raisonnable quand un Leblanc menace un empire de déclin ? Déterminé à exploiter la vulnérabilité de sa puissante famille qu'il juge coupable da...