— Attention ! s'exclama un invité, sa voix étouffée par le jazz.
Je m'excusai rapidement pour l'avoir bousculé, avant de m'éloigner, un plateau à la main.
Nous étions dans le Gloria, une partie de la ville dédiée à l'élite et l'aristocratie. Un mafieux était venu nous récupérer au bordel et nous avait déposé dans la villa d'un chanteur où la fête battait son plein, avec pour seule instruction de faire le service.
Il nous avait offert des masques vénitiens noirs et le personnel nous avait donné un plateau, des verres, une bouteille qui coûtait certainement une année de prostitution.
— C'est pas trop tôt, grincha une blonde quand je lui servis du vin. Fabio devrait revoir son personnel !
Fabio Felicio.
L'hôte de la soirée.
Il avait réussi à lancer sa carrière grâce au jazz, modernisant ainsi son répertoire de ballades d'amours et nationalistes. Mais les rumeurs disaient qu'il devait son succès aux Verratti.
Quand la dictature avait été proclamée, le pays s'était peu à peu fermé à la culture de l'extérieur. Nous étions lentement devenus des reclus, et le nationalisme avait vite contaminé ce qu'on regardait. Ce qu'on lisait. Ce qu'on écoutait.
Par exemple, dans les journaux ou sur des affiches placardées en ville, on adorait nous faire la promotion des hommes sportifs, musclés, modèles de la Grèce antique. Pour nous rappeler la force. La virilité du mâle. Les guerriers spartiates. La défense de la nation.
Ça, ou les publicités des familles heureuses, pour augmenter le taux de la natalité et reprendre le contrôle de la race blanche qui se faisait « conquérir » par l'étranger.
Mais au lieu de censurer ses textes, Felicio avait sollicité le pouvoir de la Famille pour vendre ses albums.
Et les Verratti n'étaient pas des fascistes.
Cela coulait de source.
Le fascisme nuisait aux affaires.
Ils étaient à la tête d'un réseau de contrebande. Je le savais parce qu'à la Maison Rouge, quand des clients « distingués » venaient, on sortait des placards les cigares espagnols et le cognac français. Les étuis et les bouteilles avaient tous un « V » tamponné dessus.
Je quittai la femme pour aller vers un autre qui me faisait un signe de main pour remplir son verre.
Mais contrairement à Zeta qui respirait la confiance et proposait des rafraîchissements aux messieurs tout en touchant subjectivement leurs bras, je manquai d'adresse.
Et ça m'énervait de la voir réussir mieux que moi.
Après l'entretien, elle m'avait arrêtée quand j'étais passée à côté d'elle.
— « Brisez-moi » ? T'es pas une candidate. T'es une suicidaire, p'tite folle ! Si tu tiens tant que ça à crever, va voir ailleurs et laisse ta place à quelqu'un d'autre !
Sa remarque m'avait tout de suite refroidie.
Suicidaire, moi ?
— On se connaît ? Me parle pas alors, avais-je rapidement cinglé sur la défensive.
J'étais partie dans ma chambre pour éviter de dire autre chose qu'il ne fallait pas. Parce qu'elle avait raison. J'étais suicidaire. Quitte à mourir dans la rue, autant crever en essayant de me venger.
Jemma me rejoignit ensuite et je l'observai travailler.
Elle virevoltait entre les invités qui dansaient, un sourire aux lèvres, tandis que j'avais failli renverser deux fois le champagne sur mon plateau. Elle pouvait même rigoler avec eux, nullement inquiète de l'épreuve et à moi aussi elle me fit oublier un moment que c'était une épreuve, car elle venait me faire les messes basses.
VOUS LISEZ
LA FLEUR DU MAL [MAFIA ROMANCE]
Historical FictionLa ville portuaire de Fiore est souillée, sous l'emprise de la pègre : jeux d'argent, prostitution, combats clandestins, les activités illégales pullulent depuis plus de vingt ans. Au milieu de tout ça, Nera, une jeune habitante de 23 ans voit sa vi...