Chapitre 72 : Survivants

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Volpe

Volpe était mourant.

Et aussi longtemps qu'il s'en souvenait, la Mort l'avait toujours suivi.

Elle avait été là quand il avait failli succomber à un rude hiver à ses trois ans. Elle avait été aussi là quand, l'année suivante, une épidémie avait éclaté dans son quartier.

Mais elle n'avait rien fait.

Elle n'avait qu'observé.

Jusqu'au jour où son père avait été pris dans une altercation mafieuse et qu'elle avait décidé de lui prendre sa vie, en guise de payement pour toutes les fois où elle l'avait épargné sans doute.

Et Volpe n'aurait jamais cru la retrouver vingt ans plus tard pour le narguer, alors qu'il aurait dû célébrer sa vie d'adulte et son entrée dans la police.

Le narguer quand sa respiration devenait lourde et qu'il se mettait à tousser si fort qu'il avait l'impression que tout son intérieur se déchirait. Le narguer quand l'air lui manquait et atrophiait ses muscles à chaque effort physique.

Le narguer quand il faisait rougir son mouchoir contre ses lèvres.

La tuberculose.

Voilà ce qu'on lui avait décelé.

On lui avait dit qu'il l'avait développée probablement dans l'environnement dans lequel il avait grandi, près de la zone industrielle où il avait pu inhaler de la poussière et des particules toxiques. Le fait qu'il avait habité dans un petit appartement avec sa mère et une autre famille pauvre, après la mort de son père, n'avait pas arrangé les choses.

Très tôt, Volpe avait compris que la chance était un facteur décisif dans la vie d'un individu.

La chance frappait à la seconde où on naissait.

C'était la chance qui faisait naître un enfant dans une famille pauvre ou riche. La chance qui le frappait ou l'épargnait de toute maladie. La chance qui donnait ou non une opportunité de travailler.

Et la chance était injuste et avare.

Quand quelqu'un avait déjà tout, sa chance se décuplait.

Quand on avait rien, sa chance était divisée par deux.

Mais une fois que la malchance frappait, on ne pouvait rien y faire pour s'en échapper.

De la mort de son père policier, assassiné par les Verratti, à la maladie qui l'avait frappé comme si Dieu n'avait pas voulu qu'il achève sa vengeance, il avait compris qu'il était damné.

Les médecins lui avaient proposé toute sorte de traitement, outre les médicaments et les drogues ; de se reclure à la campagne et de profiter de l'air frais pour éviter l'aggravation de son état, de se faire interner dans un sanatorium jusqu'à ce qu'il aille mieux, ou même de se faire enlever un poumon.

Il avait refusé.

Comment pouvait-il une seule seconde prendre sa retraite et se faire aliter pour le restant de sa vie, en espérant un jour qu'il puisse s'en sortir ? Comment pouvait-il envisager ça quand il avait des gens qui comptaient sur lui ? La Garde qui était à deux doigts d'attaquer les Verratti ? Les Fleurs qu'il avait réussi à implanter dans la ville et tous les citoyens qui les aidaient discrètement ?

C'était insensé !

Et pourquoi, pourquoi, une foutue crapule de vieillard comme ce Parrain de misère avait eu le droit de vivre aussi longtemps sans les conséquences de ses crimes, tandis qu'il allait mourir à trente ans ?

LA FLEUR DU MAL [MAFIA ROMANCE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant