Chapitre 78 : Don Vito

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Vito

Quand le médecin de famille le quitta, Vito regarda les murs de la loge où il se reposait.

Il fut un temps où il avait connu par cœur chaque détail de cette pièce, des fissures dans le mur à la coiffeuse remplie de poudres. Il avait eu l'habitude de s'éclipser à la fin des spectacles pour retrouver la femme qui avait occupé ce lieu à l'époque et qui n'était plus aujourd'hui.

Sans le savoir, ses hommes l'avaient apporté ici, mais pour lui, un hasard n'était jamais bon signe.

Il repensa à la silhouette qu'il avait vue plus tôt en haut des escaliers. Il avait juré reconnaître Agata et il devait retrouver cette femme. Il voulait être sûr. Il devait la revoir.

Peu importait s'il savait pertinemment que ça faisait vingt ans qu'Agata était morte.

Il était arrivé à un stade démentiel qui lui faisait penser que les morts pouvaient revenir à la vie. Et que c'était ce qu'il se passait. Les morts étaient revenus pour le hanter, lui, avant de l'emporter à son tour.

Avec une main qui ne cessait de trembler, il essuya la sueur qui perlait sur son front et avec l'aide de sa canne, il se leva du sofa. D'un pas fragile, il marcha jusqu'à la porte et, en voulant sortir, il tomba nez à nez avec deux gardes.

— D... Don ! Vous ne devriez pas vous lever ! Capo Riccardo a dit que vous...

Vito les ignora et continua son chemin. Il n'eut pas besoin de forcer le passage, les hommes eux-mêmes s'écartèrent, hésitants et craintifs, et il y avait tout intérêt à ce qu'ils soient intimidés. Il restait le chef des Verratti.

Il restait le Don.

Mais alors qu'il arpentait le couloir, la nostalgie du lieu le frappa et il se retrouva plongé à une autre époque. Les murs changèrent de ton, le tapis du couloir disparut, un autre mobilier fit son apparition.

À chaque pas qu'il faisait, l'esprit de Vito voyageait entre le passé et le présent. Les voix autour de lui se mélangeaient, entre la voix de la concierge qui scandait son nom et celui de Sergio, car ils n'avaient pas le droit d'accéder à cet étage, aux hommes d'aujourd'hui qui murmuraient « Don... ! Don ! » dans un mélange de peur et d'admiration.

Il se revoyait sur un de ces bancs rembourrés en velours rouge, assis avec Giuseppe qui avait joint nerveusement ses jambes. Il se revoyait rire fort et lui donner une grande claque amicale dans le dos dans l'attente d'Agata qui allait quitter d'une seconde à l'autre sa loge. Sergio était adossé au mur d'en face et leur souriait.

Si jeunes, ils avaient été.

Que s'était-il passé ensuite ? Vito se creusa la mémoire. Il s'était passé quelque chose mais il n'arrivait plus à mettre la main dessus. Qu'est-ce qu'il avait bien pu se passer pour que tout s'écroule ?

Quand il se remémora enfin, il s'arrêta dans le couloir.

Viviana avait quitté ce monde, il s'était vengé sur les Fontano, Giuseppe l'avait trahi et s'était enfui avec Agata, et il avait été contraint d'épouser cette Lombardi.

Alors qu'il avait réussi à devenir l'homme le plus riche et puissant de la ville, il ne s'était jamais senti aussi seul.

Il fut lui-même étonné d'avoir pu oublier tout ça à l'instant, de la même manière qu'il aurait pu oublier ce qu'il avait mangé hier.

Il avait passé une vie entière à éprouver du ressentiment, à rêver d'une vie meilleure, à bâtir un avenir où plus personne n'aurait l'ascendant sur lui ou sa famille, et maintenant qu'il était dans ce corps criblé de rides et de fatigue, que chaque articulation lui faisait mal, que chaque pas en avant le ramenait en arrière, il ne put s'empêcher de se demander ce qu'il se serait passé si les choses avaient tourné différemment.

LA FLEUR DU MAL [MAFIA ROMANCE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant