En ouvrant la porte du bordel, la chaleur étouffante de l'intérieur écrasa immédiatement mon corps et ramena à la vie mes pieds humides et mes mains congelées.
La musique, les rires, les conversations et les voix féminines frappèrent mes oreilles et cela fut un contraste si fort au silence de la nuit que mes tympans se mirent à siffler.
S'il y avait bien un lieu qui connaissait un franc succès à deux heures du matin en hiver, c'étaient bien les bordels. Quoi de mieux pour se réchauffer que l'alcool et la compagnie des femmes réunis sous un même toit ?
Avec mes doigts tremblants, qui devenaient de plus en plus douloureux à mesure qu'ils se dégelaient sous la chaleur oppressante, je pris appui sur le mur pour soutenir mes jambes crampées.
Je fis une courte pause pour me reprendre et je m'engageai dans le grand salon.
Je reconnus quelques visages de prostituées que j'avais pu côtoyer comme Mag. Ses cheveux blonds, ébouriffés et bouclés formaient deux boules sur sa tête et son visage joufflu était rouge d'effort. Elle jonglait rapidement entre les tables pour servir à boire, en riant aux hommes quand ils lui parlaient ou la touchaient, ivres.
J'avais été à sa place.
Et si les Verratti m'abandonnaient, je serais de retour ici.
Soit ça, soit la mort s'ils continuaient de me suspecter.
Volpe représentait ma seule et unique chance de me sauver de cette ville et c'était un euphémisme.
— La terre ou la mer ? m'avait-il interrogé quand un jour, je lui avais demandé quel était son plan pour ma fuite.
— Pardon ?
— Le train ou le bateau ? Tu as une préférence ?
— Le bateau. Je ne veux plus rien avoir avec ce pays de mafieux.
Mais en regardant Mag et ces autres filles qui trimaient si fort pour avoir seulement quelques pièces, à peine de quoi payer le gîte au jour le jour, je me demandai pourquoi on faisait ça. Pourquoi on mettait autant d'efforts à vivre quand l'existence ne nous avait rien apporté de bon.
On savait qu'on vivait en enfer. Demain, on se réveillerait dans ce même enfer. Et le surlendemain aussi.
Cela n'avait aucun sens.
Quand bien même Volpe réussirait à m'embarquer sur un navire, à quoi... Cela servirait ?
On se ferait trahir encore une fois. On nous mentirait. On nous blesserait. On nous abandonnerait. On nous volerait. On pleurerait. On souffrirait.
Je sentis une vague puissante de pure détresse me rendre malade et je donnai quelques coups à ma poitrine pour la faire partir.
Pense à rien d'autre que ton but. Le reste est superflu, Nera !
— Hé ! Femme ! Tu... Tu veux t'asseoir avec... Nous ?! m'interpella un homme de la quarantaine, mal-rasé, bourré, probablement un ouvrier car il était encore en tenue de travail.
Il hoqueta plusieurs fois et ses hommes rirent. Ils rirent si fort que certains durent essuyer le coin de leurs yeux quand des larmes leur échappèrent, avant de boire de nouveau.
Je les ignorai.
Les hommes venaient ici pour le plaisir, mais ça aussi, c'était un mensonge. Une illusion. C'était ce qu'ils pensaient, parce que ce n'était jamais juste pour le plaisir.
C'était pour chercher quelque chose qu'ils n'avaient pas encore.
Ou qu'ils n'auraient jamais.
La joie, l'amour, la liberté.
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LA FLEUR DU MAL [MAFIA ROMANCE]
Historical FictionLa ville portuaire de Fiore est souillée, sous l'emprise de la pègre : jeux d'argent, prostitution, combats clandestins, les activités illégales pullulent depuis plus de vingt ans. Au milieu de tout ça, Nera, une jeune habitante de 23 ans voit sa vi...