Chapitre 16 : Réveil

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Enfant, j'avais été le chenapan de la famille.

Élevée sans mère et avec un père enfermé dans son bureau, j'avais eu une certaine liberté que les gamins de mon âge n'avaient pas eu. Alors que les autres fillettes avaient appris comment se tenir, j'avais appris à courir. Alors qu'elles avaient appris à ne pas ouvrir la bouche quand les hommes discutaient, j'avais appris à parler fort.

Mon frère avait fait ce qu'il pouvait, le pauvre, mais jusqu'à la mort de papa, j'avais été bien trop difficile à gérer pour lui. Malgré les mille fois où il m'avait dit de ne pas hausser la voix pour ne pas déranger père dans son bureau, il avait été rare que je l'écoutasse.

Un oiseau qui avait appris à voler seul ne pouvait pas revenir dans la cage des hommes.

Nous avions alors eu l'habitude de nous chamailler, nous bagarrer, nous disputer, mais il y avait toujours eu un amour inconditionnel entre nous, bien que nous ne le disions pas.

Un de mes souvenirs qui demeurait ancré dans ma mémoire, c'était cette après-midi ensoleillée où je l'avais retrouvé assis contre un arbre. Ses yeux avaient été rivés vers le feuillage luisant sous les rayons de soleil.

Il avait quitté l'enfance, son visage s'était affiné et les bouclettes volumineuses de maman avaient commencé à lui donner un charme qui prédisait un avenir aisé auprès des femmes.

Je l'avais rejoint en courant et en criant – deux choses interdites pour une fille :

— Raf ! Raf ! Regarde ! Papa m'a donné sa montre !

Je m'étais jetée à genoux devant lui, salissant ma robe et je lui avais montré le précieux bien que j'avais enveloppé dans un mouchoir en lin pour le protéger de la poussière.

C'était une montre au cadran rectangulaire en or tenue par une lanière en cuir qui commençait à faire son temps.

— Elle est pas belle Raf ?! Il a dit que quand je serai plus grande, je pourrai la porter !

Je l'avais vu fixer l'objet d'un regard lointain comme s'il n'avait pas vraiment été là. Ou qu'il ne m'avait pas entendu. J'avais alors posé ma main sur sa jambe pour attirer son attention.

— Il t'en a pas donné une aussi ?

Cette fois, ma voix lui était parvenue et son regard était passé de la montre à mes yeux.

Et ses lèvres avaient souri avec une tendresse profonde, et quelque chose d'autre qui m'avait été difficile de qualifier. Comme quelque chose de sucré qui laissait un arrière-goût amer.

— Non. Mais c'est parce que tu es sa favorite, fripouille.

— C'est faux ! Il t'aime le plus ! Il te demande toujours dans son bureau !

Il n'avait pas répondu tout de suite.

— Il n'y a rien de mal à ça. Pour être honnête, si j'avais été à sa place, je t'aurais choisi aussi. Comment ne pas résister à ces grosses joues ?

Et pour illustrer ses propos, il avait pincé mon visage et j'avais grimacé sous son rire. Mais quand bien même il s'était amusé de moi, j'avais senti quelque chose de lourd dans ma poitrine. J'avais eu un cadeau de père.

Alors pourquoi pas lui ?

J'avais alors rejeté sa main et avec un regard de défi, je lui avais tendu la montre.

— Vas-y ! Prends-la. Je te la donne... Parce que c'est toi mon préféré !

J'avais ensuite souri, fière.

Dieu savait que je ne voulais pas la lui offrir. De l'or. Il y avait de l'or autour des aiguilles. Et ça brillait au soleil ! Mais quand on aimait, on ne comptait pas. Enfin, un petit peu quand même.

LA FLEUR DU MAL [MAFIA ROMANCE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant