Chapitre 8

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🎵 Old Pine - Ben Howard
Octobre, San Francisco



Je déteste ces jours-là où les vestiges enlarmées de ma nuit sont visibles sur mon visage. Ce matin, en voyant mes cernes et mes yeux bouffis, j'étais à deux doigts de porter des lunettes de soleil en venant au travail. Mais j'ai vite compris qu'en plus d'être une idée absurde, ça m'aurait totalement retiré la dernière once de considération que ma cheffe a pour moi.

Depuis que Ben et moi avons reçus la réponse concernant les formulaires de prime, Mabel Norwood est on ne peut plus frisquette avec moi. Mes réponses devaient être vraiment décevantes. J'essaie de rattraper cet échec en me montrant un peu plus productive que d'habitude. Pour l'instant, ça n'a pas encore les effets escomptés.

Je suis dans la salle des voix-off, participant à l'enregistrement des doublages pour l'un des films d'animations les plus populaires du studio. À force d'écouter les acteurs jouer, je réalise qu'il y a de petits problèmes dans le scénario.

— Ça manque de naturel, je trouve, dis-je doucement pour ne pas déranger.

— C'est exact, me répond le directeur artistique.

Par la suite, ce dernier interrompt le tournage en mimant une croix avec ses mains. Les acteurs de doublages cessent tout de suite de parler.

— Les dialogues ralentissent le rythme de l'animation, ajoute-t-il en posant son script sur la table de mixage. Il gribouille des mots dessus en disant : Peux-tu réviser cette partie du script pour demain matin ?

Il m'offre le cadeau empoisonné que j'effleure d'un regard inquiet. Les mots « page 15 à 107 » me font presque tourner la tête.

— P - pour demain matin ?

— Oui, nous avons accumulé un grand retard sur notre calendrier. Tu te chargeras du reste du scénario pour les jours à venir.

C'est quasiment l'entièreté du scénario qu'il veut que je révise mais...

— Entendu.

Je sors de la salle d'enregistrement avec les épaules aussi lourdes que le monde, et me dirige jusqu'à celui que je partage avec Ben. Dernièrement, je le croise moins souvent, et j'apprécie encore mieux mon espace de travail. Je pose mes affaires sur ma table vitrée et m'installe dans le confort silencieux de la pièce.

Après plusieurs heures de travail, Madame Norwood sort de son office privé.  Je me lève, par reflexe et besoin de poursuivre la conversation qui va être enclenchée. D'après le paysage qui se reflète à travers la fenêtre derrière le secrétaire de Ben, le soleil s'est couché, c'est l'heure pour tout le monde de rentrer chez soi. Mais pas encore dans mon cas.

— Comment s'est passé l'enregistrement ?

— Le directeur artistique m'a demandé de réviser le script du film Oly, répliqué-je en la suivant de près à l'extérieur de la salle.

Ses pas sont rapides mais je suis la cadence sans souci.

— OK.

— Je vais synthétiser les répliques à rallonge. J'ai trouvé que certaines manquaient de naturel.

J'appuie sur le bouton pour appeler l'élévateur.

— Les mots sont des pinceaux pour peindre l'âme de nos personnages, réplique-t-elle. Gardez en mémoire que tout ne mérite pas de disparaitre.

J'opine du chef. Je jette un coup d'œil au panneau d'indication d'étages ; il sera à notre niveau dans quelques secondes. Je me lance.

— Depuis l'annonce de la prime de Ben, vous ne me donnez presque ou plus de tâches à remplir.

Le Pacte Des Héros | TOME 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant