Je m'empressai de le rattraper et me raccrochai à son bras, lorsque nous nous engouffrâmes dans le couloir sombre devant lequel se tenaient toujours Christian et les autres.
- Où est-ce que tu m'emmènes ? demandai-je nerveusement.
- J'ai un truc à demander avant de te faire visiter.
- La permission, peut-être ? raillai-je en essayant désespérément d'apercevoir une lueur quelconque.
- Très drôle. Tu ferais mieux de commencer à te repérer tout de suite au lieu de te moquer de moi.
- Alors, vous laissez vraiment les couloirs dans le noir tout le temps ? J'avais cru comprendre que c'était une mesure exceptionnelle, hier soir.
- Quand je t'ai dit ça... c'était ironique, répliqua-t-il en haussant les épaules.
- Mais comment tu fais pour t'y retrouver ? insistai-je.
- Je connais cet endroit comme ma poche. Et puis, comme je te l'ai déjà expliqué, j'ai développé une excellente vision dans l'obscurité dès les premières fois où je me suis servi de mon... « pouvoir ».
Il marqua une pause.
- Ça sonne étrange, dit comme ça, non ?
- Plutôt, oui.
- Tu comprendras dès que tu t'y mettras.
- Alors ça veut dire que je n'aurais jamais besoin de torche ou de truc de ce genre une fois que...
Je ne sus comment terminer ma phrase. Il n'eut aucun mal à me comprendre néanmoins.
- Ne te méprends pas. Ça marche un peu... un peu comme la vision d'un chat. Il possède une perception plutôt aigüe de ce qui l'entoure, du moment qu'il reste un tant soit peu de lumière dans l'endroit où il se trouve. Une fois dans le noir total cependant, il se comporte comme n'importe quel autre être vivant : en aveugle.
Nous nous arrêtâmes brusquement et il me planta sur place.
- Attends-moi là, lança-t-il en s'engouffrant dans une pièce semi-éclairée.
J'eus à peine le temps d'entrevoir une clarté bleutée, que celle-ci disparut immédiatement. Je ne vis rien au sol non plus – visiblement, il n'y avait pas de jour sous la porte. Je m'appuyai contre le mur derrière moi et me concentrai sur ma respiration. Elle devenait rapide, trop rapide. Je m'efforçais tant bien que mal de ne pas me laisser submerger par l'angoisse – en vain. Pourquoi n'arrivais-je pas à me calmer ? Je n'étais plus une gamine de huit ans, bon sang.
Gabriel se décida finalement à revenir. Il émit un drôle de son – je devinai vaguement sa stupeur devant l'état dans lequel je m'étais mise.
- Eh, calme-toi, m'apaisa-t-il en attrapant ma main.
Je serrai les poings et entendis mes jointures craquer.
- Tout va bien, marmottai-je, les dents serrées.
Nous nous remîmes en route. Mon guide me fit pivoter une fois à gauche et recommença la manœuvre un peu plus tard. Le temps me parut bientôt infiniment long, et mes jambes commencèrent bizarrement à me faire souffrir. À croire que ce couloir n'en finirait jamais. Il me semblait néanmoins que nous suivions une ligne droite depuis plusieurs minutes. Au bout d'un moment, nous bifurquâmes une dernière fois à gauche, avant d'entrer dans une nouvelle pièce sur notre droite. Une guirlande de LED courait à environ un mètre au-dessus du sol, le long des murs. Le vert et le bleu s'alternait régulièrement, environ toutes les dix secondes. Deux rangées de deux bureaux se partageaient l'espace relativement restreint de l'endroit. Un abat-jour mobile muni d'une sorte de cordon pendait au-dessus de chacun d'eux, probablement afin de pouvoir regarder l'écran de l'ordinateur sans se brûler les yeux. Les quatre lampes se mirent à couiner en se balançant de gauche à droite lorsque Gabriel referma la porte, créant un puissant courant d'air. Je me décidai à les immobiliser pour les faire taire – ce bruit m'était tout bonnement insupportable.
Mon camarade alla s'installer sur le premier bureau de gauche et alluma la lampe au-dessus de lui, avant de m'inviter à m'installer près de lui. Je tirai la chaise du bureau d'à-côté et reportai mon attention sur lui. Il attrapa une feuille vierge et un crayon de bois dont il ne restait plus grand-chose, muni d'une gomme devenue beaucoup trop petite pour remplir correctement son usage.
- Rappelle-moi les directions qu'on a prises avant d'atterrir ici, commença-t-il en me scrutant attentivement.
Je compris qu'il devait s'agir de sa manière de me tester.
- En sortant du réfectoire, on a pris trois fois à gauche et la porte était sur la droite.
- Parfait, déclara-t-il en adoptant une moue rassurée. J'avais peur que tu ne fasses partie de ceux qui n'ont absolument aucun sens de l'orientation. Bon, je vais te faire un plan détaillé de l'Iron. Ton premier exercice consistera à l'apprendre par cœur. Le plus tôt sera le mieux, si je peux te donner un conseil. Ce sera peut-être un peu difficile au début, mais tu finiras par t'y retrouver.
Il soupira et entreprit de dessiner un damier sur la feuille.
- O.K., dix sur dix, commenta-t-il en appuyant les contours du carré extérieur. Je vais essayer de faire simple. Nous vivons sur deux niveaux, chacun d'une surface de 14 400 m². Nous sommes au second niveau, donc un peu plus enterré sous la surface que le premier.
- Arrête-moi si je me trompe, l'interrompis-je, mais je crois bien avoir vu le soleil filtrer dans la grande salle...
- C'est une bonne remarque, approuva-t-il en hochant la tête. Alors, essaie de visualiser ça : nos deux niveaux sont en décalage. Je sais que la comparaison peut paraître étrange, mais c'est comme si je te disais que le premier niveau est un tiroir fermé, et le second un tiroir grand ouvert juste en-dessous. Côte à côte, mais séparé d'une hauteur de trois mètres à peu près. Le plafond du réfectoire monte à six mètres, environ. En fait, c'est la seule pièce surélevée de notre niveau. Ce qui signifie que la voûte dépasse de quelques dizaines de centimètres en surface.
- Je comprends, assurai-je avec concentration.
- En règle générale, tu n'as pas besoin de mettre les pieds au premier niveau. C'est la Rûche, l'endroit où tu as été élevée. Il n'y que des alvéoles les unes à côté des autres et rien d'autre.
- Tu y es déjà allé ? m'enquis-je, curieuse.
- En fait, rares sont ceux qui y mettent les pieds, avoua-t-il. On l'a juste vu en simulation. Je te montrerai ça.
- D'accord.
- Au nord de l'enceinte, il y a le laboratoire, continua-t-il en délimitant une bande qui occupait un cinquième de la place disponible. C'est là que se trouve le cerveau de la Rûche.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Science FictionEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...