16. L'EMBRASEMENT (PARTIE III)

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- Elle va bien ? demandai-je sans perdre l'objet de tous nos maux, qui n'avait pas daigné s'évanouir malgré le choc.

- Elle en a l'air, me renseigna Gaby d'une voix qui trahissait son angoisse.

Je soupirai de soulagement.

- Merci, dis-je ensuite à l'intention de Zane. Tu nous as sauvés la mise. Mais pourquoi ? Qu'est-ce que toi et Luther faites ici ? Vous n'étiez pas censés être partis à la recherche de Yann et des autres ?

- C'est justement ce qui nous a conduits ici, expliqua-t-il en haussant les épaules. C'est une longue histoire. Tout ce que je peux te dire, c'est que je n'ai pas aimé me faire trahir par les miens.

- Ça me soulage de voir que nous ne sommes pas les seuls avec Gabriel à être au courant de ce qu'il se passe. Nous n'en avons parlé qu'à une personne, ici, et cette personne nous a trahis.

- Qui ? intervint Luther.

Je perçus la menace avant même que mon esprit n'intègre l'information.

- Moi, lança Dani avant d'appuyer sur la détente du calibre 22 qu'il pointait sur moi.

Je n'eus pas la chance, comme dans les films, de voir l'ennemi avouer son crime avant que son arme ne s'enraye miraculeusement. D'un autre côté, tout se passa trop vite pour que qui que ce soit s'interpose, ce qui signifiait que personne ne serait blessé à ma place.

Durant le centième de seconde que mit le projectile à m'atteindre, je me préparai à recevoir l'impact dans les côtes. Mais la balle ne décrivit pas exactement le trajet que je lui avais prêté. Le morceau de métal propulsé par la force explosive de la poudre vint s'écraser contre ma cuisse avant d'en trouer l'épiderme, puis traversa ma chair pour se loger dans le muscle quadriceps - provoquant la rupture de la veine saphène antérieure, jusqu'à ressortir de l'autre côté.

Oui, bon, j'avais peut-être menti à Cassie en prétendant être nulle en sciences. Mais le fait de comprendre exactement ce qui provoquait la douleur ne m'aida pas à mieux la gérer pour autant. Je poussai un cri qui se mua en grognement au moment où ma jambe céda sous moi. La brûlure qui venait s'ajouter à la déchirure rendait ma souffrance absolument insupportable.

- Eireen ! rugit Skyler, tombant à côté de moi.

Il ne fut pas le seul à pousser ce cri. Je roulai sur le côté, afin de ne faire subir aucune pression à ma jambe touchée. Je n'affrontais vraiment pas la situation avec calme et dignité, mais je comprenais aujourd'hui plus que jamais à quel point l'impassibilité dont faisait preuve les acteurs lorsqu'ils prétendaient être blessés n'était qu'un mensonge improbable de plus, venant se greffer sur une très longue liste de supercheries.

- Pour l'héroïsme, on repassera, commenta Dani avec un sourire carnassier.

- Je vais te... commença Kyle en se relevant, avant que son frère ne lui pose une main sur le torse pour le retenir.

- Laisse, je m'en charge, décréta Gabriel en vrillant son regard acéré sur celui qu'il avait autrefois considéré comme son meilleur ami. J'en fais une affaire personnelle.

À ma plus grande surprise, il obtempéra et s'agenouilla de nouveau près de moi, m'aidant à compresser l'ouverture pratiquée par la balle. Je détournai mon regard de nos mains entremêlées ruisselantes de mon sang, et me concentrai sur le règlement de compte qui se déroulait sous mes yeux. Les messages nerveux qui semblaient m'électrocuter le cerveau m'empêchèrent presque de suivre ce qu'il allait se passer.

- Pourquoi tu es venu ici en sachant que tu n'aurais pas le dessus ? lança sèchement Gabriel à l'intention de Dani.

- Très honnêtement, je comptais reprendre le rôle de l'ami dévoué pour mieux vous coincer ensuite, mais en vous entendant parler, j'ai compris que j'avais été démasqué. Comment en revanche, c'est ce que j'aimerais savoir.

- Si tu as l'intention de piéger quelqu'un sans que ça se sache, évite de laisser traîner ton poison au vu et au su de tous.

- Ah, tu as fureté dans les placards, comprit-il avec une moue réprobatrice. Ce n'est pourtant pas ton genre... C'est elle qui t'a rendu comme ça, ajouta-t-il en me désignant du menton. Du jour où elle est arrivée, vous ne vous êtes plus quittés. Tu m'étonnes que la comédie du bébé était crédible...

Je vis les sourcils de Skyler s'arquer sous l'étonnement. J'aurais préféré lui raconter tout ça moi-même.

- Mais heureusement pour moi, je suis plus qu'une simple carte dans leur jeu. J'ai accès à des informations que peu de personnes ici peuvent prétendre connaître.

- À t'entendre parler comme ça, on croirait presque avoir affaire au frère de cet abruti, marmonnai-je suffisamment haut pour qu'il m'entende.

- Pour être précis, tu as affaire à son demi-frère, précisa Dani en nettoyant une poussière imaginaire sur son arme.

J'en restai comme deux ronds de flanc. Quand prendrait fin la tournée des révélations en série ? C'était beaucoup trop à affronter en une seule journée.

- À votre avis, comment les charmantes personnes qui tirent les ficelles ici aurait pu recruter un Cérébral d'accord pour trahir les siens sans contrepartie ?

- Je te laisse le soin de nous répondre, puisque vous aimez tellement vous entendre parler dans la famille ! répliqua Gabriel en serrant les poings.

- Je n'y peux rien, je sais captiver mon auditoire, avança l'autre avec un sourire espiègle. Mais je vais te répondre, avant de t'expliquer comment je m'y prends. Mon père – il prononça ce mot avec une sorte de dégoût qu'il ne parvint pas à dissimuler – était quelqu'un qui se croyait important dans cette communauté. Il avait prévu de faire de ses fils des Duplicateurs, pour qu'ils puissent l'aider dans sa vaste entreprise. Jusqu'au jour où il s'est rendu compte que son premier fils n'était rien de moins qu'une aberration de la nature, ce contre quoi il croyait se battre alors que des gens plus malins au-dessus de lui ne cherchait en fait qu'à contrôler ces « monstres ». Lorsque ma très chère mère a avoué avoir côtoyé l'un de nos pires ennemis, eh bien, notre père les a reniés. Et comme de mon côté je visais plus haut que tout ce qu'il aurait jamais pu espérer obtenir, je l'ai lâché moi aussi. C'est comme ça que je me suis rapproché d'un véritable meneur, et non pas d'un vulgaire pantin gonflé d'égo, ce qui nous a non seulement permis d'accéder à un grade un peu plus élevé que tous nos camarades ici présent – bien que cela se soit passé dans le plus grand secret – mais ce qui a nous a également permis d'infiltrer les rangs ennemis.

J'étais écœurée à la seule idée que ce type m'avait fait la cuisine durant près de trois mois. Comment avait-il pu cacher sa vraie personnalité avec une telle aisance ? Ce talent était visiblement de famille.

- Maintenant que tu sais tout, je vais te dire autre chose : tu veux savoir pourquoi personne ne m'a encore mis hors d'état de nuire, alors qu'il y a au moins cinq personnes en état de le faire, sans compter vos deux boulets féminins ? Parce qu'une part de vous cherche à comprendre comment nous, les méchants de l'histoire, plaisanta-t-il en adoptant un ton à la fois désemparé et larmoyant, en sommes arrivés là. Et c'est ce genre de moment qui peut inverser la tendance.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant