Durant les semaines qui suivirent, je ne manquai pas une seule de mes soirées avec Kyle. Jane ne s'étonna jamais de mes sorties au milieu de la nuit, cette habitude s'étant naturellement installée dès les premiers jours – et ce, grâce à un concours de circonstances déconcertant. Elle avait tout simplement calqué son train de vie sur mon rythme nocturne, ce qui, bien que cela me faisait culpabiliser un peu, ne semblait pas la déranger le moins du monde.
Plus le temps passait, plus les choses s'arrangeaient du côté de Kyle. Il devenait de plus en plus proche de ma vision de l'humanité, à mesure que nous nous révélions l'un à l'autre. Son besoin de se confier à quelqu'un qui désirait le comprendre et l'aider m'apparaissait de plus en plus évident. Quant à moi, je prenais enfin conscience à quel point ma sœur et moi-même avions vécu repliées sur nous-mêmes. J'avais l'impression que la « thérapie » que je lui faisais subir n'était pas bénéfique que pour lui. Ainsi, j'étais en apparence la seule à être pleinement consciente qu'il m'apportait doublement son aide. Lui s'en sortait si bien avec ses propres démons que je ne franchis jamais le cap de lui donner le bracelet qui lui revenait – en plus d'un manque subit de courage, j'avais fini par me persuader qu'il n'en avait pas besoin pour avancer. Kyle était une personne forte. Bien plus que moi, en tout cas.
Hormis mon tout premier essai, je n'étais pas parvenue à interagir correctement avec mes pouvoirs. Mon camarade m'expliqua tant bien que mal que la faute en revenait entièrement aux barrières mentales que je m'étais érigées envers cette facette de ma nature profonde.
- Tu as toujours des préjugés, me reprocha-il une fois.
- Ce n'est pas parce que tu es l'exception qui confirme la règle que je ne pense pas toujours la même chose à propos de ceux qui pratiquent leurs dons à des fins malsaines, rouspétai-je.
- Souviens-toi de ce que Voltaire a dit : Les préjugés sont la raison des sots.
- Ah, les Français et leur morale...
Il me fallut néanmoins tout son soutien pour m'obliger à lutter contre eux. Dès que nos entraînements s'arrêtaient, nous discutions de longs moments, en grignotant des quantités inquiétantes – même pour une ado comme moi – de barres chocolatées. Rien que durant cet été, les usines de Twix et de Snickers avaient dû connaître une rupture de stock, en engrangeant une recette astronomique au passage – encore que ce dernier point restait incertain. Je n'étais pas certaine que Kyle payait réellement pour tout ça, même si je ne lui demandais évidemment aucune précision.
Parmi nos activités favorites, la musique avait une place fondamentale dans notre vie. Sa chanson préférée restait néanmoins The Reason, du groupe Hoobastank, qui m'étaient jusque-là inconnus, l'un comme l'autre. Il n'eut pas besoin de me la faire entendre trois cents fois – bien qu'il ne s'en priva pas – pour que j'en tombe immédiatement amoureuse. Jamais nous ne nous lassions de l'entendre. Il n'y eut qu'une seule dérogation à cette règle à ma connaissance. Alors que la musique touchait à sa fin, je constatai que Kyle avait l'air irrité – il m'avait déjà paru tendu tout au long de la soirée.
- Je crois que je vais finir par détester cette chanson, déclara-t-il avec tristesse.
Je ne compris pas ce brusque revirement. Mais avant même que je puisse lui demander ce qu'il entendait par là, il s'était déjà éclipsé pour chercher quelque chose à manger. Comme il se faisait plus long que d'habitude, je me surpris à faire une chose qui ne m'avait encore jamais effleuré l'esprit. Sans savoir réellement ce que je cherchais, je farfouillai dans la boîte à gants et y dénichai pas loin d'une dizaine de cartes routières de différents états, qui dissimulaient sous elles un GPS classique – et qui les rendaient donc parfaitement inutiles. Acquisition récente, sans doute.
Derrière, un bric-à-brac de stylos et de post-it avaient été abandonnés pêle-mêle – à croire que Kyle avait besoin de noter tout ce qu'il lui venait à l'esprit. Et non-loin de là se trouvait un objet rectangle et plat, qui ne me serait jamais venu à l'idée d'abandonner dans ma voiture. J'extirpai avec délicatesse son BlackBerry du rangement instable et, en parfaite petite fouineuse – je me faisais horreur à moi-même –, je jetai un coup œil à la liste de ses contacts. Dérisoire, il me fallait en convenir. Seules deux entrées y avaient été enregistrées : un dénommé Hushnan en premier lieu – prénom qui me parut curieux, sur le coup – et le second, un certain Jake. Pas de contacts féminins, donc. Lorsque je me rendis compte qu'une note de satisfaction teintait cette constatation, j'eus envie de m'assener une gifle pour me remettre les idées en place. Ce qui n'aurait strictement rien changé, si ce n'était la douleur occasionnée sur ma joue, peut-être.
Retournant à l'écran d'accueil, je m'aperçus qu'il s'agissait d'un de ces fonds d'écran « posé » sur la surface d'un cube pivotant. Je fis donc glisser la première image – qui n'était rien d'autre que la couverture du roman Glitch, ce qui m'arracha un sourire – vers la gauche et découvris une photo de Kyle plus jeune. Il devait avoir tout au plus quinze ans sur ce cliché et avait passé un bras autour des épaules d'un garçon dont il n'était l'aîné que de quelques années. En bas, au niveau de leur taille et rajoutés dans une écriture informatique bouclée, leurs noms étaient inscrits en lettres blanches. Le jeune garçon inconnu sur la droite se nommait « Kyne ».
Quand je m'arrêtai sur l'inscription en-dessous de mon compagnon d'initiation, je marquai un temps d'arrêt, avant de tout ranger précipitamment. Lorsque l'intéressé revint, il ne remarqua rien du dérangement occasionné. Ce soir-là, je retravaillai le bracelet en cuir qui avait foncé entre-temps et ajoutai un S et un R, respectivement devant et derrière son prénom. La boucle était bouclée.
C'est ici que se termine le chapitre 9 :)
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Ciencia FicciónEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...