9. ENGRAMME (PARTIE VI)

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Je quittai les alentours du Cannon Ball et me retrouvai devant la porte de chez moi la minute suivante. La poignée tourna avant même que je n'esquisse un mouvement pour entrer. Jane se jeta dans mes bras, le visage défiguré par le chagrin.

- Je t'en prie, excuse-moi, pleura-t-elle convulsivement.

Une vague de remords me submergea lorsque je songeai que j'étais la cause même de l'état dans lequel elle s'était mise. Je la conduisis à l'intérieur en m'excusant à mon tour.

- J'ai eu tellement peur... que tu sois partie, sanglota-t-elle en me serrant dans ses bras. Sans qu'on se soit parlé... Ça me rendait malade !

- Je suis désolée, réitérai-je avec sincérité en sentant à mon tour les larmes affleurer. Je n'avais pas du tout l'intention de m'en aller, ni même de te le faire croire. J'étais juste sortie... faire un tour. Comme hier soir. J'avais besoin de réfléchir.

- Tu sais, tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour te protéger, affirma-t-elle d'une voix rauque. Même si je n'ai pas toujours pris les bonnes décisions, j'ai toujours tout fait dans ce sens. Comme maman l'avait fait pour nous...

- Je comprends, assurai-je en resserrant mon étreinte.

Et ce n'était que la vérité. À la voir ainsi, je ne pouvais décemment en douter. Même si ses choix ne m'avaient pas paru justes, ils étaient justifiés. Il n'y avait qu'une chose sur laquelle je me devais d'être intransigeante.

- Je n'ai qu'une question à te poser, fis-je en prenant sa tête auréolée de cheveux bouclés dans mes mains. Est-ce que tu m'as, oui ou non, réellement initiée ne serait-ce qu'une fois à... tout ça ? Je ne te demande pas ça pour te juger, et sache que quelle que soit ta réponse, je ne t'en voudrai pas. Seulement, sois franche avec moi. Je veux que tu me dises toute la vérité, pour qu'on puisse repartir à zéro une bonne fois pour toute. Alors, est-ce que tu l'as fait, oui ou non ?

- Non, avoua-t-elle en fondant une nouvelle fois en larmes.

Je la pris de nouveau dans mes bras en essayant de la calmer.

- Si tu veux, reprit-elle, le souffle court, je pourrais...

- Certainement pas, l'interrompis-je avant qu'elle n'aille plus loin. Écoute, tu as été franche avec moi, et c'était tout ce que je te demandais. Si tu ne voulais pas le faire, alors c'était que ça ne devait pas se passer comme ça. À partir de maintenant, je ne poserai plus de questions et on fera à ta manière, comme on l'a toujours fait. D'accord ?

Jane hocha la tête avec reconnaissance.

Lorsque je repensai à tout ce qu'il s'était passé un peu plus tard dans la nuit, je me rendis compte que ma colère première s'était immédiatement effacée devant la douleur de ma sœur. J'avais compris à quel point j'avais fondamentalement tort de remettre en cause la confiance que je mettais en elle, alors qu'elle avait toujours veillé sur moi de la meilleure façon qui soit. J'avais réagi comme une gamine en affichant mon indignation, alors que j'étais largement en mesure de comprendre la situation. J'étais désormais presque certaine qu'à sa place, j'aurais fait la même chose qu'elle. Comment lui reprocher de vouloir me tenir à distance de la folie et de l'avidité qui avaient touché la majorité de nos congénères, à l'instar de Kyle ?

Oh non, pas lui ! Je n'étais décidément pas prête à l'oublier. En même temps, c'était à cause de lui que tout cela était arrivé. Jamais je ne me serais mise à réfléchir de cette manière si je n'avais pas été mal influencée. D'un autre côté, je devais reconnaître que Kyle ne connaissait absolument rien de l'histoire de ma famille. Il semblait peu vraisemblable qu'il ait mis tout ça sur pied juste pour me faire douter et devenir le même monstre que lui. À quoi cela l'aurait-il avancé ? La solitude pesait même aux dégénérés, mais de là à se jeter sur la première inconnue... Il m'avait apporté son aide sans contrepartie apparente, après tout.

Je ne savais plus quoi penser, en réalité. Même si j'aurais normalement dû considérer ma situation avec bonheur – ma relation avec Jane était revenue à la normale et Kyle était parti – je ne pouvais m'empêcher de me laisser ronger par une petite étincelle de regret. Commençant lentement à sombrer dans le sommeil, j'eus du mal à en comprendre la cause. Était-ce parce que je devais déjà renoncer à quelque chose – je revoyais encore les gouttes figées dans l'espace – qui m'était apparu merveilleux sur le moment ? Ou bien était-ce parce que je m'étais montrée odieuse, alors que je ne supportais pas de me voir me comporter de cette manière ? Je couvris ma bouche pour bâiller et me roulai en boule sur le côté, me pelotonnant sous les couvertures. Et si c'était uniquement parce que la dernière fois que j'avais vu le visage de Kyle, c'était un masque de colère qui obscurcissait ses traits ?


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant