6. VOYAGE (PARTIE VIII)

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Je faillis en lâcher mon sandwich. Ma curiosité m'exhortait à lui poser mes questions, mais je me rappelai que je n'étais pas face à Gabriel ou l'un des miens. À la pensée de mon meilleur ami, mon cœur se serra. Je n'avais plus la moindre chance de le revoir, aujourd'hui. Interrompant mes pensées, Skyler reprit la parole, même si je me demandai sur l'instant pourquoi il alimentait la conversation.

- C'est ma sœur qui les a faits, lança-t-il avec désinvolture en regardant son dîner.

Je tressaillis. Même si j'étais censée n'en avoir rien à faire, je me rendis compte que j'avais parcouru plus de 1 500 miles pour venir jusqu'en Arizona et le supprimer, en brisant sa famille par la même occasion. Jefferson avait eu raison pendant la soirée organisée avant notre départ. Le camp adverse ne mènerait bientôt plus la guerre que dans un ultime but de vengeance.

Sauf qu'il y avait quelque chose qui ne collait pas.

- Tu n'as pas de sœur, l'accusai-je en dardant un regard mauvais sur lui.

- Tu en sais plus que moi sur ce sujet, j'imagine ? rétorqua-t-il, acide.

- J'en sais suffisamment sur toi, tranchai-je.

Il jeta la fin de son sandwich sur l'un de ses sacs et écarta ses genoux, les pieds bien ancrés dans le sol. Après s'être passé une main dans les cheveux comme pour s'exhorter au calme, il croisa les mains en appuyant ses coudes sur ses genoux, le visage crispé.

- Ne te gêne pas, cracha-t-il. Le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai toujours rêvé de voir mon profil psychologique établi par des gens de ton espèce.

Le mot « espèce » me fit littéralement sortir de mes gonds.

- O.K., tu veux savoir ce que tu es ? Une aberration de la nature ! Si les gens de mon espèce, comme tu le dis si bien, existent, c'est uniquement pour pouvoir rétablir un équilibre que vous vous êtes toujours évertués à fracturer. Toi et les tiens, vous ne vous servez de vos capacités que dans le seul but de faire du mal à ceux qui n'appartiennent pas à votre communauté. Et je vais même te dire autre chose : toi, tu es particulièrement dégénéré, parce que tu as perdu tes proches dans une histoire qui n'avait absolument rien avoir avec nous ! Et au lieu de chercher les vrais coupables ou même de chercher ton frère, tu rejettes ta haine sur nous !

- Je t'interdis de parler de ça, tu m'entends ? hurla-t-il en sautant sur ses pieds, la main contractée autour du pistolet qu'il avait gardé à sa ceinture.

- Pourquoi, parce que j'ai raison ?

Le coup partit tout seul. La détonation fit vibrer mes tympans un bon moment après que la douille, désormais inutile, ne soit entrée en contact avec le sol, en produisant un son métallique. Lorsque je baissai les bras que j'avais placés autour de ma tête pour me protéger, je vis qu'il était resté dans la position où il avait tiré, le canon pointé vers le ciel. Ses yeux étaient posés sur moi avec une stupeur mâtinée de regret, comme s'il n'en revenait pas de s'être laissé aller à perdre son calme si facilement. Je ne lui laissai pas l'occasion de se conforter dans l'idée qu'il était parvenu à me faire peur.

- Fin de la discussion, j'imagine ? le défiai-je en soutenant son regard.

L'exercice ne fut pas aisé, le vert incroyable de ses prunelles le rendant plus impressionnant encore qu'il ne l'était déjà.

- Ouais, lâcha-t-il en faisant mine de se détourner. Ou alors, non, se reprit-il en avançant de quelques pas, ballotant l'arme au gré de ses gestes désordonnés.

Je fixai prudemment celle-ci en veillant à ce que ses doigts crispés ne se referment pas accidentellement sur la détente, alors que j'étais dans sa ligne de mire. J'étais peut-être énervée, j'étais peut-être allée trop loin, mais je n'étais pas suicidaire, quand même.

Il s'accroupit à demi à moins de cinquante centimètres de moi, ne laissant traîner qu'un genou par terre.

- Je ne suis pas une aberration de la nature, assena-t-il en détachant chacun de ses mots. Je suis né comme ça, et je n'y peux rien. Tu crois que ça m'amuse de vous combattre continuellement ? Pourtant, si je ne le fais pas, c'est moi qui vais me faire descendre.

Je me retins de justesse de lui demander s'il voulait que je le plaigne.

- Autre chose : ma famille est un sujet sensible, gronda-t-il en rapprochant son visage.

Cette soudaine proximité fit provisoirement flancher ma concentration.

- Il y a deux choses que je déteste par-dessus tout : l'une, c'est qu'on essaie de me faire entendre que ton espèce n'est pas impliquée là-dedans. L'autre, c'est précisément quand c'est quelqu'un comme toi qui s'y amuse.

- Ça n'a pas dû t'arriver souvent, non plus, lançai-je imprudemment.

- Vous avez tué mes parents et vous en avez fait autant avec mon petit frère. Je n'ai pas eu à le chercher parce que vous me l'aviez déjà pris ! Alors si je suis dégénéré, comme tu le dis si bien, c'est uniquement de votre faute !

S'il avançait encore, nos fronts n'allaient pas tarder à se toucher. Il dut remarquer que j'avais la respiration coupée, vu qu'il recula presque aussitôt, le regard dur.

- J'ai déjà perdu trop de temps, reprit-il un peu plus posément. Retourne te coucher, ça vaudra mieux.

Je ne me fis pas prier, souhaitant établir le plus de distance possible entre lui et moi pour le moment. Je ne savais pas ce qui m'avait pris de lui jeter tout ça à la figure aussi soudainement. Mais une chose était sûre, ce que je venais de faire venait de mettre un terme définitif à cette espèce de situation d'entre-deux que nous avions vécue aujourd'hui. Il était désormais prêt à prendre une décision en ce qui me concernait, même si je n'avais aucun doute sur l'issue de celle-ci.



Fin du chapitre 6. N'hésitez pas à laisser votre avis, positif comme négatif ^^


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant