8. IDENTITÉ (PARTIE I)

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- Quoi ? lâchai-je à voix basse, de crainte que le son de ma voix ne brise le cristal fragilisé de cet instant.

Skyler ne me relâcha pas, comme s'il craignait que je ne disparaisse dans un nuage de fumée. Pour ma part, la surprise avait crispé mes doigts autour de ses bras. Trop de questions se bousculaient dans ma tête. Sanders. C'était beaucoup trop important pour n'être qu'une simple coïncidence, et pourtant, je n'arrivais pas à y croire. Comment pouvait-il seulement savoir qui j'étais ? Je ne pouvais pas être celle qu'il avait perdue autrefois. J'avais passé l'essentiel de ma vie au Centre, les Duplicateurs m'avaient recueillie bébé. Mais je ne pouvais pourtant pas nier qu'il venait d'énoncer le nom sous lequel mon dossier avait été caché, ou quelle que soit la raison pour laquelle on me l'avait attribué. Que savait-il exactement ? Ou plutôt, à quel jeu jouait-il ?

Je vrillai mon regard sur lui, attendant qu'il me fournisse une explication plausible à toute cette histoire. J'allais en avoir besoin rapidement si je ne voulais pas devenir complètement dingue. Mais Skyler ne semblait avoir la tête à ça pour le moment. Il ne cessait de me toucher comme pour s'assurer que j'étais bien réelle, ce qui ne m'aidait absolument pas à garder les idées claires. Il fallait que je m'y contraigne, cependant.

- Comment tu peux savoir qui je suis ?

Il ferma les yeux une seconde avant de les rouvrir.

- Eireen, chuchota-t-il encore une fois, en posant son front contre le mien. Tu ne sais vraiment pas qui je suis ?

Sa question me stupéfia. Évidemment que je le savais ! J'étais même plus renseignée que quiconque à son sujet. Sans quoi, je ne serais pas là aujourd'hui. Il poussa un gémissement devant ma perplexité.

- Tu ne te souviens vraiment de rien, hein ? constata-t-il finalement.

- Me souvenir de quoi ? fis-je en saisissant ses doigts qui descendaient le long de mon visage.

- De nous deux, poursuivit-il en s'écartant pour rencontrer mon regard. De Jane.

- Qui ? l'arrêtai-je, interdite.

Ce nom m'était familier, naturellement. Seulement, il était impossible qu'il me parle d'elle. Précisément parce que cela faisait dix-sept ans qu'elle était morte. Et qu'elle n'avait que quatre ans quand cela s'était produit.

- Ta sœur, Eireen, déclara-t-il pourtant.

J'avais appris dans mon dossier que non seulement mes parents m'avaient été arrachés peu de temps après ma naissance, mais également qu'ils n'étaient pas les seuls membres de ma famille à avoir été supprimés. J'avais tout découvert à leur sujet plusieurs semaines après mon intégration en tant qu'initiée.

Ma colère avait atteint son paroxysme lorsque je m'étais imaginé l'enfant aux boucles blondes sur la photo dénuée de vie, comme si c'était moi la grande sœur et qu'elle venait tout juste de mourir sous mes yeux. J'avais connu l'une de mes plus graves crises de larmes à ce moment-là et je n'aurais certainement pas pu surmonter mon chagrin si Gabriel n'avait pas été là pour me soutenir. C'était l'une des raisons qui m'avait le plus motivée à combattre, même si j'avais connu de longues périodes de doute une fois que le poids de ma peine était progressivement retombé.

Dans ces conditions, je ne pouvais pas douter que ma sœur était morte avant que je ne puisse avoir la chance de la connaître. C'était pourquoi lui non-plus ne pouvait pas être au fait de son existence. Il ne pouvait même pas daigner prétendre l'avoir connu enfant – il était un Cérébral, c'était une Duplicatrice. Deux mondes, deux sphères qui ne rentreraient jamais en contact, de cette manière-là tout du moins. Jusqu'à ce que je ne réécrive les règles, bien sûr.

- Ça va faire cinq mois que nous t'attendons, reprit-il en récupérant sa main pour la poser sur ma joue. Mais qu'est-ce qu'ils ont bien pu te faire pour que tu en sois arrivée là ?

- Je n'y comprends rien, me lamentai-je. Ce que tu racontes n'a aucun sens.

- Je crois qu'il va falloir que je te parle sérieusement.

Son ton prudent ne me laissa rien présager de bon. Il nous fit tous les deux asseoir près du feu, en me plaçant entre ses jambes, avant d'enrouler ses bras autour de moi. Si je n'avais pas été aussi désorientée, je n'aurais pu que remarquer l'étrangeté de la situation. Avant qu'il ne franchisse la barrière qui nous séparait, j'aurais été parfaitement incapable de soupçonner qu'il puisse tenir à moi – et j'étais presque certaine d'avoir aussi bien donné le change que lui. Une fois que nous avions révélé nos sentiments, cependant – car j'étais sûre qu'il ne pouvait plus douter de mon amour pour lui, pas après qu'une telle connexion se soit établie entre nous, en tout cas –, il n'était plus question de nous cacher derrière un masque et de faire semblant. Je n'aurais jamais osé imaginer cette situation possible et pourtant, j'étais bel et bien dans ses bras en cet instant. Même si je me doutais que la suite serait nettement moins agréable – tout cela était trop soudain pour ne pas être motivé par quelque chose de plus profond, plus ancien. Des éléments m'échappaient encore, mais je savais que je me rapprochais inexorablement de la vérité.

Il approcha ses lèvres à deux centimètres de mon oreille et je devinai que la proximité des flammes n'était en rien à l'origine de la brusque chaleur qui venait d'embraser la moindre de mes veines.

- Je regrette de ne pas avoir compris avant, murmura-t-il. Quand je t'ai revu pour la première fois à Gilbert... Je ne m'attendais pas à ce que ça se passe comme ça. Je ne m'attendais pas à te retrouver dans le rôle de mon ennemie, ça n'avait pas de sens. Et ça m'a mis en colère quand je me suis aperçu que tu n'étais plus celle que tu étais. Qu'ils t'avaient transformée sur tous les plans. Je n'ai mis que quelques secondes pour décider de ce que je devais faire. Je devais te fuir, pour nous éviter de faire une bêtise à l'un comme à l'autre. Même si tu étais devenue quelqu'un d'autre, je ne pouvais pas me résoudre à te tuer. Je n'aurais pas pu supporter tout ça d'un coup. Mais vous avez commencé à me poursuivre et je me suis mis à réfléchir, en me disant que je ne pouvais pas t'abandonner comme ça. Quand j'ai réalisé que tu étais dans le coma, j'ai eu bon espoir que ça inverserait l'effet, même si c'était idiot, je te l'accorde. Mais quand tu t'es réveillée, tu m'es apparue toujours aussi distante et hostile que quand tu es venue chez moi me prendre par surprise. Je ne dis pas que ça justifie ma conduite, mais c'est pour ça que je me suis montré tellement con avec toi. Et je ne t'explique pas quand j'ai vu l'autre abruti débarquer tout à l'heure...

J'allai protester mais me retins. Son discours me perdait déjà suffisamment pour que je me permette de l'interrompre avant la fin. Cependant, même au bout de plusieurs secondes, il ne reprit pas la parole. Je me sentis le besoin de me justifier, alors que je n'avais toujours pas compris où il voulait en venir.

- Je n'ai pas pu, expliquai-je. Quand je suis tombée nez-à-nez avec toi, le phénomène s'est déclenché tout seul en moi. Avant même que je ne te voie, je n'ai pas été capable d'intervenir. J'étais tétanisée. Sur le coup, je n'ai pas réalisé que j'étais en train de devenir une Éphémère, parce que je n'aurais pas pu accepter d'être tombée amoureuse de ma cible. J'avais déjà suffisamment honte d'avoir fait rater l'opération.

- C'est pour ça qu'elle a voulu t'éliminer ? m'interrompit-il en posant son menton sur mon épaule.

- Qu'est-ce que tu racontes ? sursautai-je.

- La fille qui t'accompagnait, précisa-t-il seulement.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant