4. REPÈRES (PARTIE III)

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La salle d'entraînement était proprement gigantesque. J'eus tout le loisir de m'en rendre compte lorsque j'y mis les pieds ce matin-là. Ce n'était pas la première fois que je visitais cet endroit – Gabriel me l'avait déjà montré dans les jours qui avaient suivi notre discussion dans la Réserve. À la faveur du faisceau de lumière de son halogène, la pièce m'avait paru affreusement terne, presque abandonnée. Elle ne m'avait pas plus impressionnée que cela sur le moment – l'obscurité ne lui avait pas rendu justice. Aujourd'hui éclairée par une bonne dizaine de projecteurs puissants disposés tout autour de la pièce, elle m'apparaissait différente. Plus dure, plus froide, plus vaste. Un lieu de souffrances. Surtout que j'y venais cette fois pour me confronter à elle.

Je n'avais absolument aucune idée de ce qui m'attendait. J'avais eu beau poser toutes sortes de question ces sept derniers jours à Gabriel, il n'avait eu de cesse de me répondre qu'il n'avait pas le droit de m'en parler. Selon lui, cela risquait de compromettre dangereusement mes chances de réussite. Me préparer était tout sauf une bonne idée, selon lui.

Il y avait deux raisons possibles à ce silence : soit je n'aurais pas pu réagir naturellement si j'y avais été préparée, et de ce fait, aurait rendu inefficace mon épreuve d'initiation, soit ce que je m'apprêtais à subir était tellement dangereux – je me refusais à accepter le mot mortel – que j'aurais tout bonnement refusé de le faire ou me serait laissée submerger par la panique. Même si cette deuxième option était loin d'arranger mes affaires, j'avais pourtant tendance à pencher de ce côté. Tout cela justifiait un état de nerfs bien avancé.

- J'ai faim, déclarai-je en franchissant le seuil d'un pas néanmoins assuré aux côtés de Gabriel.

- Tu plaisantes ou quoi ? se stupéfia-t-il en ouvrant des yeux ronds.

- Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as ingurgité ce matin ? intervint Dani, qui venait de faire irruption derrière nous.

Nous nous laissions balloter au gré de la foule qui ne cessait d'affluer dans la salle. À coup sûr, tout le monde était venu assister à mon échec. Tous se dirigeaient vers le fond de la salle, vers des sortes de gradins de fortune – rien n'était décidément destiné à être confortable, ici.

- Je n'y peux rien, je suis nerveuse, confessai-je en me mordillant la lèvre inférieure, pourtant déjà sérieusement entamée.

- Tu n'aurais même pas dû la laisser manger autant.

La remarque venait de Gabriel.

- Mais qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? s'exclama l'autre. Est-ce que tu as vu son expression quand je lui ai dit de faire attention ? J'ai cru qu'elle allait m'égorger.

- N'exagérons rien, tempérai-je.

- Ce n'est pas ce que tu avais en tête, peut-être ?

- Je ne pensais pas à t'égorger, répliquai-je. Mon poing dans ta figure m'avait paru suffisant.

Les garçons éclatèrent de rire et je me joignis à eux l'espace d'une seconde, avant de me souvenir de l'endroit où j'étais et la raison pour laquelle je m'y trouvais. Je m'installai donc au premier rang et me retrouvai prise en sandwich entre eux. Je me mis à frissonner – l'humidité qui perlait le long de la pierre rendait l'atmosphère vraiment glaciale. Gaby serra ma main une brève seconde.

Les murmures se turent finalement lorsqu'une jeune femme fit irruption dans la pièce, le nez plongé dans une pile de papiers que le rabat de son porte-bloc peinait à maintenir. Elle s'avança jusqu'au milieu de la salle et releva finalement la tête.

- Vous savez tous bien évidemment qui je suis, commença-t-elle, mais je crois qu'il est nécessaire que je me présente à notre nouvelle recrue.

Elle posa son regard d'un noir saisissant sur moi et esquissa un rapide sourire d'encouragement.

- Je m'appelle Neraja, s'introduisit-elle. Je suis la personne chargée de votre entraînement.

Elle ne s'adressait plus qu'à moi en disant cela.

- Tu veux bien me rejoindre, Eireen ?

D'une démarche que je ne qualifierais que de ridiculement hésitante, je l'atteignis finalement. En la détaillant d'un peu plus près, je pus constater qu'elle n'était pas aussi jeune que la plupart des personnes présentes ici. Plus femme, moins adolescente. Elle devait facilement être proche de la trentaine et le portait très bien. Ses cheveux d'un noir de jais étaient plus longs d'un côté que de l'autre et lui touchaient l'épaule droite. L'une de ses plus longues mèches était colorée en rose fuchsia, ce qui détonnait un peu sur sa peau bronzée.

- Tu es prête ? me demanda-t-elle sans y aller par quatre chemins.

J'opinai du chef alors qu'il n'y avait pas une once de sincérité dans ce geste. J'essayais de communiquer un minimum d'assurance, du même genre que celle dont elle faisait preuve. Son attitude m'avait légèrement – très légèrement – rassurée. Neraja n'avait pas l'air d'être le genre de personne à accepter que quelque chose échappe à son contrôle. Tout se passerait bien.

- Espérons-le, lâchai-je dans un murmure.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant