14. HEUREUX ÉVÈNEMENT (PARTIE III)

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- À propos d'avenir, reprit Gabriel en prenant ma main dans la sienne, je compte sérieusement sur le fait de poursuivre ma vie aux côtés d'Eireen et de notre enfant. Et comme vous pouvez le constater, nous sommes loin de vivre une vie stable.

- Je dois reconnaître qu'il est toujours aussi étrange d'avoir en face de soi quelqu'un que l'on connaît si bien, et qui nous revient métamorphosé.

- Je me flanque les jetons chaque fois que je me regarde dans le miroir, avoua Gaby en inspirant brièvement.

- En quoi est-ce contrariant ? recentra le vieil homme en nous observant d'un air pensif. Il existe une solution à votre problème, et des plus naturelles encore. Enfin, de notre point de vue.

- Eh bien justement, c'est ce dont je voulais discuter avec vous, poursuivit Gabriel en fronçant les sourcils. Nous n'avons jusqu'ici eu l'expérience que d'une seule personne, celle de Chris, en l'occurrence. Comme vous le savez, il n'a pas réellement laissé les choses empirer et s'est soigné dès qu'il a compris le principe. Mais comme il nous l'a lui-même décrit, c'est un processus délicat qui nécessite une quantité d'énergie dont nous ne disposons pas. Je ne dis pas que dans mon cas, je ne pourrais pas y remédier durant les prochains jours, mais pour Reen, les choses vont être radicalement différentes. Non seulement, nous ne savons pas combien de temps l'affaiblissement propre au statut d'Éphémère mettra à se manifester chez elle, mais en plus, nous savons désormais qu'elle est enceinte. Elle risque de ne pas disposer des forces nécessaires pour s'attaquer à cette solution.

- Et au risque de paraître faible, je ne me sens pas prête à affronter mes ennemis de nouveau, précisai-je, rentrant dans le jeu inattendu de mon prétendu compagnon. Pas dans l'état dans lequel ils m'ont laissé.

- Et j'ajouterai que nous ne savons pas quelles seront les conséquences pour notre enfant, renchérit-il en me broyant sans s'en rendre compte la main. Qui nous dit qu'elle ne puisera pas dans les forces du bébé ? Où qu'elle n'influera pas sur son devenir ? C'est un risque que nous ne sommes pas prêts à prendre.

- Je vois, marmonna l'homme, qui ne put cacher la lueur de satisfaction qui dansait au fond de ses yeux.

Il fit mine de se perdre dans la contemplation réflexive de la chemise violette qui se trouvait juste devant lui, dans l'espoir de nous dissimuler ses pensées. Je jetai un coup d'œil furtif à Gabriel et vit frémir imperceptiblement les commissures de ses lèvres.

- Je suis vraiment inquiet d'apprendre ça, mentit Jefferson en reprenant son masque de joueur de poker. Cela implique de devoir trouver une solution au plus vite. Ne l'ayant pas sous la main, il sera nécessaire qu'Eireen s'établisse un maximum au laboratoire.

- Je refuse d'être séparé d'elle, s'anima mon ami en fronçant les sourcils.

- Il va pourtant bien falloir que tu agisses, de ton côté, observa le doyen. Je ne vois pas en quoi le fait de mettre ta vie en danger sera bénéfique à l'état de ta compagne.

- Tant qu'elle ne sera pas guérie, je ne la quitterai pas d'une semelle !

- Nous n'avons jamais vraiment su de quelle manière la présence de l'être à l'origine de la mutation agissait sur l'Éphémère, insista-t-il gentiment. Mais de ce que nous avons pu recouper des informations fournies par Katherine sur la vie de son frère et celle de Christian...

- Je sais ce que vous allez me dire, mais je ne suis pas d'accord avec ça, contra Gabriel.

- De quoi tu parles ? m'enquis-je, flouée.

- Miles n'a pas réussi à retenir la fille qu'il aimait auprès de lui, et il a vécu environ neuf mois dans un environnement stable. Chris était quant à lui tout le temps fourré avec Kate et le début de sa dégradation a pris effet au bout de trois mois seulement. Mais les variables d'un Duplicateur à un autre sont par trop instables. Regarde nos transitions et celle de Chris.

- Vous sous-entendez donc que nous éloigner l'un de l'autre augmenterait nos chances de survie ? fis-je en ignorant sa remarque, m'adressant uniquement au vieil homme.

- Je n'affirme rien, comprends-moi bien, mais je pense qu'il faut essayer. Je n'ai pas dit pour autant qu'il fallait rompre tout contact.

J'entrevis l'espace d'un instant ses pensées. Après avoir crû nous forcer à rester ici en inventant cette histoire de bébé dont nous n'ignorions rien de l'absurdité, il pensait réussir à nous séparer sous des dehors irréprochables, sans même se rendre compte que nous lui avions volontairement fourni toutes les excuses nécessaires. J'étais prête à parier que l'idée que je puisse vouloir me rapprocher de la Rûche pour obtenir des informations ne lui avait même pas traversé l'esprit, tant il pensait être à l'origine d'une machiavélique machination !

- Je m'en fiche ! m'énervai-je en ne perdant pas de vue le rôle que je devais tenir. Je suis prête à courir le risque.

Gabriel fit mine de réfléchir à mes dernières paroles. Il soupira, comme s'il venait d'avoir un déclic fatal.

- Mais pas moi, lâcha-t-il comme s'il en souffrait. Vous êtes deux, à présent. Je ne veux pas tenter le diable, peut-être qu'il a raison. Tant que l'on peut m'assurer que ça n'empirera pas les choses...

Or, nous savions tous les deux que c'était pourtant le cas.

- Dans ce cas, nous rectifierons bien évidemment le tir, assura Freeman, affectant une bienveillance horripilante.

Mais bien sûr... Et il nous offrirait des ours en peluche avec ça pour s'excuser d'avoir fait fausse route !

- Quand vous serez prêts, et je ne peux que vous conseiller la plus grande célérité, je vous conduirai personnellement au laboratoire. Le temps que tu retrouves toute ton énergie et que tu acceptes de faire ce qu'Eireen attends certainement de toi, on te gardera en observation au même titre qu'elle.

- Dois-je en conclure que nous serons placés en quarantaine ? demandai-je en feignant une ignorance craintive.

- Grands dieux, non ! assura-t-il, probablement à contrecœur. Vous pourrez sortir quand vous le désirerez, à condition de toujours revenir dans un délai plus ou moins rapide. Il ne manquerait plus qu'il arrive quelque chose à l'un de vous sans que nous ne puissions intervenir !

- Accordez-nous un moment, le pria Gabriel en se relevant, m'entraînant à sa suite. Ce que vous nous demandez n'a rien d'évident.

- Bien sûr, prenez votre temps, acquiesça Jefferson en hochant la tête. Je ne bouge pas d'ici.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant