1. CONTACT (Partie V)

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Un déclic se produisit, et le grésillement d'une lumière qui peinait à s'allumer se fit bientôt entendre. Trois paires de doubles-néons illuminèrent l'endroit où j'avais été installée, et je pus enfin découvrir la deuxième et dernière pièce que je visiterais de mon vivant.

La salle était autrement plus inquiétante que celle dans laquelle j'avais jamais vécu jusque-là. Une grande partie du plafond située juste au-dessus de moi était entièrement carrelée par des dalles noires électroniques, qui laissaient vaguement penser à des panneaux photovoltaïques – du moins, tels que j'avais pu en voir les rares fois où ils étaient le sujet d'un de mes livres d'étude. Des dizaines de câbles fins en perçaient les quatre coins et reliaient les extrémités des dalles voisines entre elles.

Ce formidable réseau était lui-même relié à ce que je présumais être une gigantesque lampe, dont je ne pouvais voir que la partie qui dépassait au-dessus de ma tête – une sorte de grand entonnoir en métal dans lequel se trouvaient un nombre impressionnant de filaments très épais entrecroisés. Trois écrans géants et plusieurs claviers hypersophistiqués étaient installés en un léger arrondi contre le mur qui me faisait face. Et juste à côté de cette installation, le professeur Kendra avait gardé sa main sur le levier qu'elle venait d'abaisser, et qui devait être l'interrupteur général.

Les écrans noirs venaient de s'allumer à l'unisson et au centre de chacun d'eux, un logo était progressivement apparu en tournoyant sur lui-même, annoncé par un ballet de lignes colorées. Il représentait le patron d'un tétraèdre, quatre triangles imbriqués formant un cinquième et dernier triangle. Les lettres C.N.R.D. étaient apparues juste à côté, et je me demandai un instant la signification de ces dernières, avant de me souvenir qu'il y avait plus urgent pour le moment.

Hélène s'avança jusqu'à l'un des claviers et tapa à une vitesse vertigineuse sur une suite de touches que je n'étais pas en mesure de voir de là où je me trouvais. Aussitôt, des fenêtres différentes apparurent sur les moniteurs, avec des courbes et des graphiques modernes dont je ne comprenais pas le sens. Dans le coin supérieur gauche de l'écran de droite, mon attention fut retenue par une inscription en lettres capitales : EIREEN SANDERS, SUJET 27. Je restai un moment sous le choc. Je découvrais pour la première fois mon nom de famille, mon identité. J'appartenais à une lignée, j'étais quelqu'un.

La dernière partie de mon intitulé me suggérait pourtant le contraire. Ici, je n'étais qu'un sujet, le sujet 27. Mais alors, qui étaient les autres ? À quelle catégorie pouvions-nous bien appartenir pour être ainsi parqués comme des animaux dans des prisons dorées – et le terme était encore trop gentil – durant le temps qui nous était accordé ? Ces questions resteraient malheureusement sans réponse.

Ma tutrice effectua encore deux ou trois manipulations, avant de faire volte-face et de venir me rejoindre.

- Je suis désolée de vous avoir laissée avec ces quatre imbéciles, mais je n'avais qu'eux sous la main, commença-t-elle en cherchant je ne savais trop quoi derrière moi, provoquant un bruit métallique.

Je ne pus m'empêcher de souligner mentalement qu'elle me vouvoyait, désormais. Elle aperçut la bande de scotch qui ceignait ma tête et l'arracha brutalement, me privant d'une bonne centaine de cheveux au passage. Je jetai un cri, étouffé par mon bâillon improvisé.

- Mon dieu, quel imbécile ! pesta-t-elle en réajustant mes cheveux en éventail autour de ma tête. Quand je vois le nombre de fois où ils ont eu affaire à ce genre de procédure, ils ne sont toujours pas capables de faire les choses correctement.

Hélène me plaça, d'après la sensation que cela me causa, deux électrodes sur les tempes et plusieurs autres sur le reste du crâne, avant d'en ajouter une à chacun de mes poignets. Elle ouvrit plusieurs boutons de ma blouse et m'en plaça une dernière sur le cœur. Elle m'installa enfin une paire d'écouteurs à peu près semblables à ceux d'un MP3. Mais à quoi cela rimait-il ? Allait-elle vraiment faire des tests sur moi ? Mais alors, pourquoi personne ne croyait à ma survie, dans ce cas ? Le professeur Kendra se planta à côté de moi et croisa les bras.

- Maintenant, écoutez-moi bien, Eireen, déclara-t-elle d'une voix sèche. Vous allez subir le C.E.S. Ne vous posez pas trop de questions, vous ne verrez certainement pas le prochain jour arriver. Je ne vous dirai donc ni ce que c'est, ni ce qui va vous arriver. Je ne perdrai pas mon temps en bavardages inutiles, vu que cela ne vous servirait absolument à rien. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la douleur sera telle que vous ne la soutiendrez pas bien longtemps, avec une nature faible comme la vôtre. Je n'ai aucune confiance en vous, Eireen, sachez-le.

Toutes mes craintes venaient d'être confirmées d'un seul coup. J'étais dans un état second, déjà à mi-chemin entre la vie et la mort. Mon exécution avait déjà commencé, et c'étaient les mots qu'elle venait de prononcer qui avaient déclenché le processus.

- Ah, j'allais oublier...

Elle ôta sèchement l'adhésif de mes lèvres et s'éloigna rapidement en direction de ses claviers. J'aurais pu dire quelque chose, mais à quoi cela aurait-il servi ? J'étais condamnée, et il n'y avait rien à faire à cela. Devais-je quand même lui dire tout le dégoût qu'elle m'inspirait ? Elle le savait déjà, j'en étais certaine. La supplier, alors ? Il était hors de question que je m'abaisse à un tel niveau. La seule prière qu'il me restait à faire, c'était que tout se termine le plus rapidement possible.

- Contact, fit-elle en appuyant sur l'une des consoles.

Il y eut deux tonalités m'évoquant la sirène d'une alarme – j'avais déjà eu l'occasion d'entendre ce son à plusieurs reprises depuis ma cellule au cours des années. Cela signifiait-il que plusieurs personnes avant moi s'étaient retrouvées dans le même cas ? J'aurais dû me douter que je n'étais pas la première à passer par-là.

Une colonne de verre s'érigea lentement tout autour de moi et s'éleva jusqu'au plafond, où j'aperçus la forme d'un cercle que je n'avais pas remarqué jusque-là autour de la partie carrelée, et qui devait probablement servir de réceptacle. Brusquement, mes oreilles bourdonnèrent sous l'effet de l'absence totale de son. Cet acouphène était étrangement douloureux. Le silence avait rarement été aussi assourdissant.

Je fermai les yeux pour la dernière fois et attendis que quelque chose vienne. Plusieurs minutes s'écoulèrent ainsi sans que rien ne se produisît pour autant. Allais-je miraculeusement passer au travers de la souffrance ? Alors que je commençais lentement à me raccrocher à cet espoir, une décharge électrique survint au niveau de mes tempes. La sensation était terriblement désagréable, mais encore supportable. Sans prévenir, une deuxième décharge – dont l'intensité supplanta celle de la première – me secoua de la tête aux pieds. Ce fut à ce moment-là que les choses dégénérèrent. Les chocs électriques se succédèrent sans discontinuer, provoquant les réactions anarchiques de mes nerfs et une douleur atroce dans mon crâne.

Mes pensées, mes sens, mes mouvements, mes émotions, tout cela devint absolument confus. J'étais en proie à un vertige terrifiant, constamment renforcé par la vrille qu'opérait mon cerveau à chaque instant. J'étais au bord de l'implosion. Curieusement, au lieu d'implorer la mort de venir le plus rapidement possible, la souffrance me faisait prendre conscience à quel point je la redoutais, et m'obligeait à lutter pour ne pas me laisser emporter par elle.

Au point culminant de mon supplice, là où je compris que je ne survivrais pas, une onde surpuissante traversa mon esprit. J'eus un brusque sursaut et sentis que je venais de la rejeter violemment. Un bruit de cassure de verre retentit quelque part au loin, et dans les tréfonds de l'inconscience où je commençais à m'enfoncer, je crus distinguer la voix du professeur Kendra.

- Oh mon dieu, balbutia-t-elle lointainement.

Bientôt, le son de sa voix ne fut plus qu'un murmure perdu au milieu du néant.

- C'est un phénomène...

Ce fut à ce moment-là que je sombrai.




C'est ici que se termine le tout premier chapitre. Merci de vous être donné la peine d'arriver jusqu'ici, l'histoire devrait désormais réellement commencer. C'est une demande très commune, j'en ai conscience, mais n'hésitez pas à laisser une critique complète et détaillée de tout ce qui a pu éventuellement vous plaire ou non. Et surtout, n'hésitez à m'adresser vos pronostics ou théories pour la suite.

Roman-e.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant