Elle m'amena jusqu'au bureau d'une jeune fille plongée dans ses analyses, à tel point qu'elle ignora complètement notre arrivée. Apparemment habituée, Hélène fit claquer ses doigts à côté de ce que je supposais être son assistante, et celle-ci releva brusquement la tête, perdue par ce retour à la réalité. Je m'indignai de la voir traitée comme un chien.
- Eireen, je vous présente Cassie Seaburn, qui s'occupera de vous le temps que je mette à jour mes différents travaux en cours. Ensuite, je serai toute à vous.
Je pressentis la menace que ses paroles voilaient à peine.
- Cassie, veillez à ce que cette jeune fille ait tout ce dont elle ait besoin, et procédez à un examen aussi régulièrement que nécessaire. Empêchez-là de procéder au moindre effort – elle est enceinte, ajouta-t-elle en dissimulant avec difficulté son dédain.
J'eus l'impression d'être un rat de laboratoire. Ce que j'étais, en réalité, ou du moins, c'était que ce je devais leur laisser croire. Il fallait juste veiller à ce que le jeu n'aille pas trop loin.
- Très bien, professeur Kendra, répondit son assistante avec dévouement.
Les talons de celle-ci claquaient déjà pour signifier son départ. Elle referma la porte derrière nous sans ménagement, et je crus que le silence allait s'éterniser. Je ne m'étais pas attendue à ce qu'elle me délaisse aussi vite, et encore moins en compagnie d'une parfaite inconnue.
- Je crains de ne pas avoir eu le temps de te dire que je suis enchantée de te faire ta connaissance, se lança-t-elle en s'éclairant.
Elle était d'une telle gentillesse qu'il me fut impossible de rester de marbre.
- Moi de même, répondis-je avec un sourire sincère. Cassie pour Cassiopée ?
- Malheureusement, non. Cassie pour Cassandre. Rick Yancey n'avait pas encore écrit La 5ème Vague le jour de ma naissance. Il n'a pas pu inspirer mes parents.
J'avais craint qu'elle ne saisisse pas l'allusion, mais ô miracle, elle semblait elle aussi connaître notre nouvelle génération littéraire. Cela me la rendit encore plus sympathique.
- Porter le nom de la fille du dernier roi de Troie n'est pas si mal non plus, remarquai-je simplement.
- Oui, je me console avec ça, rit-elle en m'amenant à un siège connecté à un drôle d'appareil. Mais je ne suis pas touchée par sa malédiction, grâce au ciel.
Je regardai d'un œil mauvais l'engin sur lequel elle voulait m'installer. Qui sait ce qu'il pourrait bien m'arriver une fois juchée là-dessus ?
- Ce n'est pas non-plus comme si Apollon me courait après, en même temps, soupira-t-elle pour elle-même. Assieds-toi là, s'il te plaît. Ce siège est bourré de capteurs qui me permettront de savoir si tu vas bien ou non. Ça facilitera mes examens.
Je m'exécutai à contrecœur.
- Qu'est-ce qui t'amène ici ? m'interrogea-t-elle en allant se rasseoir. Si ce n'est...
Elle compléta sa phrase en dessinant un arc-de-cercle au-dessus de son ventre.
- On essaie de trouver un moyen de me guérir, expliquai-je en haussant les épaules.
- Guérir de quoi ?
- De ça, fis-je en désignant mes yeux.
- Si ce n'est que ça, tu n'as pas besoin de rester ici. Il n'y a pas un de tes camarades qui a déjà traversé ça ?
- Si, approuvai-je. Il s'appelle Christian. Mais je ne peux pas vraiment suivre son exemple. Dans mon état, j'ai peur d'influer sur la santé du bébé si j'ai recours à cette solution. Changer ma nature n'est pas une option, dans mon cas.
- C'est dommage, remarqua-t-elle. La seule manière de remédier à ton état consiste à cibler la masse cérébrale qui dirige tous les paramètres biologiques de ton statut de Duplicateur, afin de la faire disparaître. Ce processus n'est pas évident à réaliser. Le transfert de l'énergie vitale d'un Cérébral implique une absorption, qui mène rapidement à un remodelage de l'encéphale. Si le processus dure assez longtemps, les lésions générées deviendront définitives et modifieront définitivement ta constitution cellulaire. Une fois que ton fonctionnement interne a changé et que tu n'es plus vulnérable aux inexactitudes cérébrales qui constituent la faille « Éphémère », tu es de nouveau en bon état de marche. Peut-être qu'une lobotomie pourrait donner le même résultat, mais comme on ne peut pas certifier que ça ne se terminerait pas mal... C'est d'ailleurs pour ça que ton espèce porte ce nom. Ta nature, en absorbant différentes énergies, mémorise la « forme » de celles-ci et adapte ton organisme pour les accueillir – et donc, les dupliques. Toi et les tiens avaient un seuil de résistance extrêmement haut. La seule énergie capable de vous tenir tête est celle des Cérébrals, cal elle est à peu près de la même force que la vôtre. Celle d'un être humain lambda est risible en comparaison, c'est pourquoi on ne peut pas utiliser le même procédé avec eux.
Elle reprit sa respiration, à bout de souffle.
- Désolée, je n'ai pas l'habitude d'avoir quelqu'un à qui j'ai le loisir de confier tout ce que j'ai étudié ces dernières années.
- Oh non, je t'en prie, assurai-je, vivement intéressée par ses explications. Quand tu dis un transfert d'énergie vitale, qu'est-ce que tu entends par là ?
- Eh bien, comme je te l'ai dit, le processus est lourd des deux côtés. Le Cérébral affecté s'affaiblit très rapidement. Sa douleur est théoriquement trop intense, c'est un peu comme s'il se faisait arracher un bras. Donc, par déduction, peu d'entre eux doivent être suffisamment forts pour survivre à une extraction.
- Tu en es certaine ?
Elle hocha la tête, perdue dans l'un des nombreux documents qui jonchaient son bureau. Ainsi, le mensonge avait été poussé à son paroxysme. Non seulement Freeman et les autres avaient voulu nous inciter à récupérer les facultés de nos « ennemis », mais ils avaient en plus trouvé un moyen de nettoyer derrière eux, en prétendant que nous n'affecterions en rien la vie du dépossédé. Effectivement, nous ne serions jamais allés vérifier si oui ou non ils étaient bien morts après notre passage. Ils avaient misé sur notre foi, et nous leurs avions aveuglément donné notre confiance. Une autre pensée me frappa brutalement. Et si Gabriel et moi avions cédé en acceptant l'offre de Jane et de Skyler ?
- Et scientifiquement parlant, comment devient-on Éphémère ? l'interrogeai-je.
- Oh là, si je te décrivais ça en langage scientifique, ce serait comme d'essayer de t'expliquer le principe de fission nucléaire en hébreu ! rit-elle en reportant son regard sur moi.
- Tu peux essayer de simplifier ? insistai-je sur un ton implorant. Je suis fascinée par tout ça ! Quand j'étais plus jeune, j'ai secrètement nourri l'espoir de devenir neuroscientifique. Jusqu'à ce que je me rende compte que j'étais incapable de retenir tout ce que contenaient mes cours de sciences.
Ma réflexion lui arracha un nouveau rire.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Science FictionEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...