9. ENGRAMME (PARTIE V)

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Kyle prit la direction Nord sur Mulberry Street avant de franchir les limites de la ville. Je sentis mon pouls s'accélérer sous la panique lorsque je me rendis compte que nous tournions sur l'Interstate 16 W – non pas que je craignais pour ma sécurité, mais plutôt la colère de ma sœur si celle-ci venait à apprendre mon escapade. Pas un son hormis celui du moteur berçant ne vint troubler le silence qui s'était établi. J'eus vaguement conscience à un moment que nous prenions à droite sur Arkwright Road, et ce fut brusquement la fin du voyage. Quand le véhicule s'arrêta, je jetai un regard à la pendule sur le tableau de bord qui n'affichait que 00 h 53. Le trajet n'avait effectivement pas dépassé les dix minutes. Je sentis mon sentiment de culpabilité s'alléger un tant soit peu – je n'étais vraiment pas si loin de chez moi, en fin de compte.

Kyle me fit descendre de la voiture et m'attrapa par le coude pour m'emmener au-delà des arbres, vers une sorte de petite « plage » improvisée – si ce n'était que le sable avait été remplacé par la pierre. Je discernai la même effervescence que les autres fois faire frissonner mon épiderme à l'endroit où il me tenait.

- Eh ben, sifflai-je avec admiration en découvrant le point de rendez-vous.

Une énorme pierre placée en travers bloquait la rive, formant un angle avec deux autres pierres tout aussi imposantes enfoncées dans la petite colline, généreusement entourées de végétation. Sur la plus grosse des deux, l'inscription « Let Smoke Rise » avait été taguée en lettres blanches et noires, et auréolée d'une couleur bleutée. Je ne parvins pas à démêler le sens du second graffiti, nettement moins remarquable.

- C'est l'endroit idéal pour se débarrasser de quelqu'un sans laisser de trace, grimaçai-je.

Kyle se mit à rire en relâchant mon bras. La sensation de fourmillement ne s'estompa pas complètement.

- Tu as un gros problème avec la confiance, observa-t-il en se dirigeant en marche arrière vers l'angle en pierres. Ce n'est pas un reproche, ajouta-t-il en remarquant ma moue. Tu as toutes les excuses du monde. Seulement, je pense que ça doit être pesant de ne jamais accorder ta confiance à qui que ce soit. Je parle en connaissance de cause.

- La seule personne qui l'ait jamais mérité est ma sœur, rétorquai-je durement. Et je te signale que je suis en ce moment-même en train de la trahir, uniquement pour te suivre.

- Je ne t'ai pas forcée à le faire.

- Non, et c'est justement ce qui me gêne, murmurai-je.

- Oh, excuse-moi, déclara-t-il à voix basse en adoptant une expression narquoise. La prochaine fois, je penserai à te coller un pistolet sur le crâne, histoire que tu n'aies pas de regrets.

Je le fusillai du regard, ce dont il ne sembla se soucier nullement.

- Qui te dit qu'il y aura une prochaine fois ?

- Allez, viens t'asseoir, m'ignora-il en se plaçant en tailleur dans le renfoncement et en tapotant le sol à côté de lui.

J'agréai sa demande, un peu anxieuse.

- On va commencer la pratique, d'accord ?

Il me fixa, attendant visiblement ma réponse.

- On est là pour ça, non ? dis-je sur un ton l'évidence.

Il laissa échapper un demi-sourire mais ne fit aucun commentaire.

- O.K., ferme les yeux, m'ordonna-t-il finalement.

Je baissai les paupières en lâchant une profonde expiration.

- Qu'est-ce que tu sens ?

Dans l'immédiat, j'aurais tout aussi bien pu répondre « toi ». Sa présence, sa proximité, son odeur, curieux mélange de sable et de soleil, son regard pesant sur moi. J'étais déconcertée par la force de mes émotions en ce moment-même, à croire que son seul contact suffisait à exacerber ma perception des sensations même les plus infimes. Cependant, je me voyais mal lui répondre ça. Aucun doute qu'il se méprendrait sur la manière d'interpréter cela – même si je devais reconnaître que d'un point de vue extérieur, il semblait difficile de le considérer différemment. Cependant, je savais que tout cela n'était qu'une réaction naturelle à l'aura de danger qui se dégageait de lui. Je ne perdais jamais de vue qu'il était du mauvais côté, si bien qu'il me rendait nerveuse et méfiante.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant