- Certaines personnes sont capables de faire coexister les deux États, lâcha-t-il tout à trac. Elles sont capables de contrôler les deux forces qui s'opposent et faire en sorte qu'elles ne s'entre-détruisent pas. On les appelle les Phénomènes.
- Tu es en train de me dire...
- Que je suis à la fois un Cérébral et un Duplicateur, admit-il en cessant de respirer.
- Mais c'est impossible, me récriai-je. Je le sentirais si tu étais l'un d'eux, je veux dire...
- N'oublie pas que je ne suis pas l'un d'eux. J'ai toujours un côté Duplicateur, je pense d'ailleurs que c'est ce qui me protège de la reconnaissance qu'on peut établir entre les deux espèces.
- Depuis quand ? m'enquis-je. Comment es-tu devenu... ça ?
- Depuis mon C.E.S., répondit-il en replongeant dans sa mémoire. J'ai mené ma vie au Centre jusqu'à mes dix-sept ans, comme toi, et quand je me suis réveillé à l'Iron, je me suis vite rendu compte que quelque chose ne tournait pas très rond chez moi. Je n'ai compris que j'avais ce petit plus que le jour où Chris m'a raconté ces histoires selon lesquelles les Cérébrals menaient des expériences sur nous.
Je n'étais visiblement pas restée assez longtemps pour entendre ces récits.
- Même si tout le monde les en pense capables, on préfère croire que ce n'est qu'une histoire délirante sur les déviances auxquelles leur comportement pourrait les mener. On raconte que les Cérébrals faisaient des expériences sur les Duplicateurs pour les mener à devenir des êtres « invincibles », des Phénomènes. J'ai fait la part des choses, cependant. Personne ne m'avait fait ça de son plein gré. Ce n'est arrivé que tardivement. J'en ai déduit qu'il devait y avoir dans ma famille – logiquement éloignée – un Cérébral et un Duplicateur. C'est la meilleure explication que j'ai trouvée.
- Et personne d'autre que toi ne le savait ?
- Non, pas jusqu'ici.
- Mais alors, c'est toi qui va avoir des problèmes, fis-je remarquer en m'inquiétant derechef pour lui.
- Ce n'est pas sur moi qu'ils savent la vérité, me détrompa-t-il. C'est sur toi.
- Sur moi ? m'interloquai-je.
Il devait se tromper. Forcément. Ce n'était quand même pas possible que je sois la seule personne au monde à ne pas me rendre compte que j'étais passée d'un État à l'autre.
- Tu n'as pas encore compris ? Pourquoi tu es capable de te souvenir de tout ce qu'il s'est passé avant et pendant ton C.E.S., à ton avis ? Il m'est arrivé la même chose. À cela près que je ne me suis jamais souvenu de ce qui s'est passé pendant, et heureusement, je crois. Et ce n'est pas tout, ajouta-t-il devant mon mutisme. Quand tu étais en colère, tu as déjà réussi à faire des trucs étranges. Tu te souviens de ta première soirée parmi nous ? Le verre sur la table ? C'est toi qui provoquait ça et quand je m'en suis rendu compte, j'ai dû trouver un moyen pour que ça ne se remarque pas. Tout le monde était tellement concentré sur toi que je n'ai eu aucun mal à user de mes capacités sans qu'ils s'en rendent compte, pour te déséquilibrer et t'amener à le renverser.
Je mis un temps à digérer tout ça. Il m'avait menti depuis le début pour me protéger, en m'assurant qu'il ne comprenait pas comment je m'y prenais pour me souvenir de tout.
- Et qui d'autre que toi le sait ? demandai-je, peu désireuse d'entendre la réponse pourtant.
- J'ai surpris une conversation entre Jefferson et Neraja, expliqua-t-il en se frottant le visage. Je n'ai compris que des bribes, mais ils parlaient de toi comme d'un sujet « remarquable », qui avait dépassé leurs espérances. Neraja a dit qu'il faudrait peut-être te mettre au courant. J'ai eu l'impression qu'ils discutaient avec une troisième personne mais elle n'était pas en leur présence, j'en suis certain.
- Le professeur Kendra, affirmai-je.
Une chose venait tout juste de me revenir en mémoire. Cette phrase qu'elle avait lâchée avant que je ne sombre définitivement. Oh mon dieu, c'est un phénomène. À ce moment-là, je n'avais pas prêté attention à ses paroles et pour cause. Mais tous les détails qui semblaient à côté de la plaque dans mon souvenir s'assemblèrent enfin. Cette fameuse onde que j'avais senti me traverser et que j'avais finalement rejetée. Tout cela avait un sens, désormais.
- Ils ont également dit que cette mission était un genre de test. En fait, je pense que tu es sous surveillance. Quand j'ai entendu cette histoire de message à propos de Rachel...
- Quelqu'un l'a balancée, intervins-je sans conviction, en reprenant les paroles de Luther.
- Je peux te dire que ça n'a rien à voir, contra-t-il avec assurance. C'est simplement qu'ils se servent de nos portables pour nous mettre sous surveillance. Au cas où l'un de nous ferait une bêtise, comme Yann. Et si je le sais, c'est parce que j'ai dû entrer dans une base de données dont l'accès était interdit pour remonter ta trace. J'ai eu du mal à faire en sorte de transférer ton signal sur quelque chose que je serais susceptible d'emmener avec moi sans que ça se remarque, mais j'ai subtilisé un téléphone vierge, en conservant aussi un imprimé avec le tracé de ton activité pour pouvoir te rejoindre. Quand je suis arrivé à Gilbert, il n'y avait plus aucune trace de l'accident, la ville avait déjà tout évacué, précisa-t-il, même si cela n'avait plus d'importance désormais.
Je pris une très profonde inspiration, encore sous le choc.
- Tu imagines ce que j'ai pu ressentir quand j'ai dû additionner le signal des blackouts et toute cette histoire. J'ai compris que la seule chose à faire était de venir te voir pour te mettre au courant. J'ai eu le pressentiment que c'était important. Et maintenant, je te retrouve prise dans les griffes de ce type avec une épée de Damoclès au-dessus de ta tête. Et je crois comprendre que tu...
- Non, confirmai-je, je ne m'en irai pas.
- Tu as conscience de ce que tu fais ? Avec qui tu te condamnes à rester ?
- Tu sais que je ne peux pas agir autrement. Tu imagines Christian s'éloigner de Katherine plus de cinq minutes ?
- Bien sûr, répliqua-t-il du tac au tac. Qu'est-ce que tu crois qu'il se passe quand ils partent en mission, que ce soit l'un ou l'autre ?
- Mais lui, il sait qu'il va la revoir, tentai-je de lui faire comprendre. Moi, je n'en aurais plus l'occasion si je le laisse partir maintenant. Surtout que si je le faisais, il nous poursuivrait.
- Je ne crois pas que c'est vraiment ce qu'il veut, contra-t-il. Et puis, de toute manière, qu'il essaie !
- Gabriel, tu dois comprendre que c'est différent pour moi. Chris est guéri maintenant, et même s'il porte toujours le même amour inconsidéré à Kate, il sait qu'il peut se faire violence et souffrir sans risquer de mourir ou d'accélérer les choses, tout au moins. Je suis sûr que tu sais tout ça mieux que moi.
- C'est vrai, je le sais, reconnut-il d'une voix brisée. Mais ça me tue littéralement que ma petite sœur doive subir un truc pareil. Toi aussi, tu sais ce que ça veut dire.
- Oui, admis-je à mon tour.
- Et tu comptes mourir pour lui ?
- Oui, répétai-je. S'il le faut.
VOUS LISEZ
PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Science FictionEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...