4. REPÈRES (PARTIE V)

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- Non, non et non ! m'emportai-je en traversant le réfectoire comme une furie.

Mon débordement de colère m'attira plusieurs regards interloqués. Je poursuivis mon chemin en décidant de les ignorer.

- Écoute...

- Non, répétai-je en faisant basculer le poids du panier à linge sur mon autre bras.

Je me dirigeai d'un pas décidé vers la blanchisserie, ne lui laissant pas la moindre seconde de répit pour me bassiner avec ses histoires.

- Mais écoute-moi, au moins, insista-t-il, frustré.

Je m'arrêtai net et fit volte-face.

- Je n'y retournerai pas, assénai-je en détachant chacun de mes mots. Compris ?

Ma première leçon d'entraînement s'était révélée être un cauchemar. J'avais failli finir en saucisse grillée et n'avais pu récupérer qu'au bout de plusieurs jours. Gabriel m'avait veillé durant tout ce temps, mais Neraja avait fait irruption dans l'infirmerie le lendemain de ma perte de conscience, l'air pas le moins du monde inquiète ou désolée.

- J'imagine que ce n'était pas si mal pour une première fois, m'avait-elle lancé en m'accordant à peine un sourire poli.

J'avais eu un choc de l'entendre parler comme ça. Pas si mal ? Elle plaisantait, ou quoi ?

- Neraja, j'ai failli finir brûlée ! m'étais-je exclamée en me redressant un peu trop vivement.

La tête m'avait tourné mais je m'étais efforcée de ne rien laisser paraître.

- Nous n'aurions jamais laissé une chose pareille se produire, avait-elle dédramatisé en levant brièvement les yeux au ciel.

- C'est curieux, j'avais l'impression que les flammes étaient vraiment très près de moi quand j'ai dû me débrouiller pour m'en débarrasser. Seule.

- C'était tout l'intérêt de l'exercice, je te signale, avait-elle continué sans se démonter. Et pour être honnête, tes résultats ne sont pas les meilleurs que j'ai eus entre les mains.

Ma mâchoire s'était décrochée. Le culot de cette femme était ahurissant.

- Tu as d'abord cherché à te libérer, alors que la seule information que tu avais à ta disposition, à savoir que tu étais là pour libérer tes facultés mentales, avait-elle précisé en martelant sa tempe, n'aurait pas dû te conduire à adopter une telle attitude. Ensuite, tu as eu besoin de voir ta cible pour établir un lien avec elle. Enfin, bon nombre de tes camarades se sont révélés bien plus rapides que toi sur cette épreuve.

- Vraiment désolée de m'être préoccupé de ma survie avant quoi que ce soit d'autre, avais-je ironisé. Consulter ma montre n'était pas franchement ma priorité...

- Râle si ça te chante, m'avait-elle coupée en haussant les épaules. Là-dessus, tu peux au moins te rassurer, tu n'es pas la première à réagir comme ça. Je t'attends au prochain entraînement, de toute manière. À moins que tu ne te sentes pas capable de continuer comme ça.

Elle était partie sur ces entrefaites en m'abandonnant à mon sort. J'avais décidé de ne plus reparaître à son « cours », quitte à mettre ma fierté de côté et devoir laisser entendre que je n'étais pas aussi courageuse que les autres. Et voilà que Gabriel me bassinait depuis que je m'étais réveillée ce matin-là – j'avais pris la décision de ne pas m'attarder une quatrième journée à l'infirmerie – pour me convaincre d'y retourner, maintenant que j'étais sur pied.

- Ne te conduis pas comme une gamine, protesta l'intéressé en fronçant les sourcils.

Je pris un air mauvais.

- Fais attention à ce que tu dis, grondai-je.

- Tu ferais mieux de dépenser ton énergie à repousser tes limites plutôt que de t'en prendre à moi, me blâma-t-il.

Je faillis lui répondre une gentillesse, mais m'en abstins in extremis. Au lieu de quoi, je repartis pour la blanchisserie d'une démarche un peu plus rigide qu'il n'était nécessaire. Je donnai un coup de pied dans la porte qui s'ouvrit en protestant. Gabriel retint le battant une seconde avant qu'il ne lui revienne en pleine figure.

- Tu ne veux pas essayer de te dépasser ?

Je posai violemment mon panier au sol et me plantai face à lui avec détermination.

- Pour quoi faire ? rétorquai-je sur un ton mordant. Pour prendre part à une guerre qui n'est pas la mienne ?

- Pas la tienne ? s'exclama-t-il. Eireen, ta famille est morte dans cette guerre ! Ce n'était pas plus la leur que la nôtre. Nous avons tous été enrôlés de force, parce que nous n'avons pas le choix. Nous devons apprendre à survivre. Qu'est-ce que tu comptes devenir, sinon ? Tu veux vraiment passer ta vie à te terrer dans des endroits comme celui-là, parce que tu te persuades que tu n'es pas à la hauteur ?

Il fit un pas ou deux dans ma direction en secouant la tête, avant de faire volte-face et de s'appuyer d'une main sur le battant, l'autre posée sur sa hanche.

- Je ne crois pas que tu te rendes compte de ce que ça représente, reprit-il.

Il releva la tête, qu'il avait laissée retomber de dépit, et se retourna de nouveau vers moi.

- Viens, il faut que je te montre quelque chose, fit-il sur un ton étrange en me tendant la main.

Je tergiversai plusieurs secondes.

- Ça a intérêt à en valoir la peine.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant