8. IDENTITÉ (PARTIE II)

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- Elle était en colère, mais pas au point d'essayer de me tuer, me défendis-je, ne comprenant pas le moins du monde où il avait pu chercher une idée pareille. On ne marche pas comme ça, je te signale.

- Elle a quand même pointé son arme sur toi, fit-il valoir en guettant ma réaction.

Je tournai la tête dans sa direction, furieuse.

- C'est faux, crachai-je.

- Elle avait le doigt sur la détente quand je l'ai descendu, entérina-t-il avec le plus grand sérieux.

Je me raidis.

- Je suis désolé d'avoir fait ça, chuchota-t-il. Je ne sais pas si c'était une amie à toi ou non, mais toujours était-il que si je n'avais rien fait, tu serais morte. Si je n'étais pas capable de te tuer, comment j'aurais pu laisser quelqu'un d'autre le faire à ma place ? C'était elle ou toi.

- Tu mens, fis-je en échappant à son étreinte.

Il me rattrapa par le poignet, ce qui me fit retomber à genoux devant lui. Je lui jetai un regard noir.

- Écoute, pour une raison qui nous échappe apparemment à toi comme à moi, cette fille...

- Candy, lâchai-je avec raideur.

- Elle a voulu te tuer, termina-t-il. Seulement, tu étais trop mal en point pour t'en rendre compte.

Je sentis quelque chose céder en moi. Mes épaules s'affaissèrent tandis que je m'efforçais de ravaler mes sanglots – en vain. Mes larmes débordèrent malgré moi, et je me réfugiai dans les bras de Skyler, qui affichait une mine désolée.

Ce n'était quand même pas possible ! Pourquoi avait-elle fait ça ? Parce que si ce cauchemar était vraiment réel, ce n'était donc plus uniquement de ma faute si elle était morte. Elle aurait eu une chance de s'en sortir si elle n'avait pas eu ce geste complètement incompréhensible. J'eus brusquement une fugace pensée pour Zane ; jamais il n'accepterait d'avaler cette histoire. Et il ne serait probablement pas le seul. Revenir à l'Iron restait une option définitivement fermée pour moi.

Je m'épuisai peu à peu et m'écartai pour regarder Skyler en face, essayant de détourner les yeux du haut de sa chemise humide.

- Explique-moi, exigeai-je finalement.

- Il y a si peu à dire en fin de compte, soupira-t-il tristement.

Je penchai la tête sur le côté.

- On s'est rencontrés le jour de tes seize ans, commença-t-il en se replongeant dans ses souvenirs. Il y a plus d'un an, maintenant. À cette époque, j'étais quelqu'un de différent. Je pensais que ce qu'il était arrivé à ma famille m'avait affecté au-delà du réparable et j'étais clairement devenu quelqu'un de foncièrement mauvais. Ne crois pas que je me montre théâtral quand je te dis que tu m'as tout simplement sauvé la vie. Tu m'as aidé jusqu'à ce que j'aille mieux, mais nous nous sommes perdus de vue une fois que je me suis senti guéri. Pourtant, je n'ai pas pu tenir la distance et je t'ai rejointe, malgré ta sœur et mes remords.

- Ma sœur est vivante ? intervins-je d'une voix tendue à l'extrême.

Il fallait que je m'en assure, à présent.

- Bien sûr, répliqua-t-il – et son ton sous-entendait l'évidence. Elle t'a quasiment élevée toute seule.

- Mais comment a-t-elle fait pour vous... pour échapper aux Cérébrals ? me corrigeai-je, consciente que j'étais incapable de le mettre dans le même sac que les autres.

- Pourquoi aurait-elle voulu leur échapper ? objecta-t-il avec agacement.

- Je suis désolée de t'apprendre que mes parents sont morts à cause d'eux, rétorquai-je, irritée à présent. Et je croyais jusqu'ici que c'était également son cas.

Je me rendis compte que c'était plutôt la deuxième partie de ce qu'il m'avait dit qui aurait dû m'interpeller. Je l'interrompis d'un geste avant qu'il ne proteste, de nouveau furieux.

- Tu dois te tromper de personne, déclarai-je devant les faits, même si j'avais conscience que cela paraissait un peu énorme. J'ai été élevée au Centre. Par ma tutrice, pas par ma sœur. Je ne l'ai jamais connue, parce qu'elle est morte.

- Mais comment est-ce qu'ils ont réussi à te faire avaler un truc pareil ? s'énerva-t-il. Comment ont-ils pu te faire oublier toute une vie en seulement cinq mois ? Eireen, réveille-toi. Tu es issue d'une famille de Cérébrals !

Ça, c'était un détail qui ne pouvait pas vraiment m'étonner. Comme Gabriel me l'avait confié, c'était la seule explication à notre condition de Phénomène.

- Tu es une Cérébrale, insista-t-il en me secouant par les épaules. Enfin, tu l'étais. De là à savoir comment ta nature a basculé, je ne vois pas d'autre explication que le fait qu'un de tes ascendants était un Duplicateur et t'ait transmis le gène. Mais quand on était encore ensemble, tu étais entièrement Cérébrale.

Là encore, il faisait fausse route, mais je ne voyais pas comment le lui expliquer. J'étais de plus en plus inquiète à l'idée qu'il me confonde avec celle qu'il avait aimée et qu'il avait cru retrouver en moi. Peut-être ne me disait-il tout ça que parce qu'il s'était convaincu que c'était vrai et ce, uniquement par désespoir. C'était une chose difficile à encaisser.

- Souviens-toi, on essayait de leur échapper, poursuivit-il. On a eu un accident ! Il y avait tellement de sang que j'ai cru...

Il s'interrompit et je vis sa lèvre inférieure trembler. Il était en train de se remémorer ce qu'il s'était passé avec elle. Je posai une main sur sa joue, bien que ce geste me fit mal. Je commençais déjà à accepter l'idée de devoir renoncer à lui. Je me refusais à le laisser dans l'erreur et faire revivre sa moitié par procuration. Cela finirait par le briser un jour ou l'autre, si j'autorisais une chose pareille. Pour moi, il était déjà trop tard de toute manière. Quitte à ce qu'il souffre lui aussi, autant faire en sorte que ce soit le moins possible.

- À qui essayait-on d'échapper ? demandai-je patiemment pour l'amener sur la voie de la raison.

- Aux Duplicateurs, évidemment, répliqua-t-il, obstiné.

- Nous sommes d'accord, continuai-je. Skyler, regarde-moi maintenant. Je suis une Duplicatrice, d'accord ? Je ne fais pas partie de ton monde et tu ne fais pas partie du mien. Tu vois en moi ce qu'elle représentait pour toi, mais tu te trompes.

- Tu crois vraiment que je te confonds avec une autre femme ? réalisa-t-il, furieux. C'est ça ? Après tout ce que je t'ai dit, tu doutes encore que je puisse être autre chose que quelqu'un de mentalement dérangé ?

Il se releva d'un bond, au bord de l'explosion. Je l'imitai plus doucement, sans geste brusque. Il allait devoir regarder la vérité en face.

- Tu crois vraiment que c'est une coïncidence ? Que j'ai aimé une autre fille qui s'appelait Eireen Sanders, qui avait une sœur prénommée Jane, et qui par-dessus le marché, n'était pas une simple humaine mais appartenait effectivement à l'un des deux camps ? Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup ?

- J'admets que c'est étrange, reconnus-je. Mais j'ai pu te donner des informations sur moi n'importe quand, sans même m'en rendre compte.

Je réalisai que je tenais l'explication au moment même où je l'énonçai.

- Sans t'en rendre compte ? ricana-t-il. Tu crois vraiment à ce que tu dis, là ?

- Tu m'as dit que j'étais dans le coma, poursuivis-je en haussant le ton pour couvrir ses tentatives d'interruption. Mais en réalité, j'ai pu dire et faire n'importe quoi pendant ces trois jours. J'ai pu délirer.

Il allait protester mais se ravisa, en proie à une intense réflexion. Je secouai la tête en lui souriant tristement. Quoi qu'il ajouterait, ce serait inutile.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant