3. INTÉGRATION (PARTIE III)

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L'intéressé n'insista pas et reprit sa chanson là où il l'avait arrêtée. Il arriva bientôt – trop tôt – au terme de celle-ci. Le silence retomba comme une plume, mais ne dura pas bien longtemps.

- Tu veux essayer ? s'enthousiasma-t-il tout à coup.

- Tu plaisantes ? rétorquai-je d'une voix dure en rouvrant brutalement les yeux.

Son sourire ne s'effaça qu'en partie.

- Je ne te parle pas de jouer, contra-t-il. Juste de chanter.

Je levai les yeux au ciel, exaspérée.

- Mais bien sûr ! Et pourquoi pas danser, tant que tu y es ?

- Le refrain n'est pas bien compliqué, me fit-il observer. Tu n'as qu'à répéter Hallelujah.

- Tu te rends compte de ce dont je viens à peine de sortir ? m'exclamai-je, incrédule devant son insouciance. Et puis, tu sais très bien que je vais me ramasser si j'essaie.

- Je n'en sais rien du tout, objecta-t-il en secouant la tête. Tu n'as jamais essayé.

- Justement !

- Eireen...

- Non, Gabriel, assénai-je en le regardant droit dans les yeux.

- Gaby, soupira-t-il en se débarrassant de sa guitare.

- Non, Gabriel, répétai-je en insistant sur ce dernier mot.

Ce fut à son tour de lever les yeux au ciel, avant de se lever et d'aller ranger son jouet dans le coin de son armoire.

- On ferait mieux d'aller se coucher, déclara-t-il en refermant les portes de celle-ci. Même si tu n'es pas très fatiguée, tu risques d'être vite assommée par tout ce qui va te tomber dessus dans les semaines à venir. Autant commencer à te reposer tout de suite.

- Je n'en ai pas envie, objectai-je.

- Moi aussi, j'ai besoin de sommeil, de toute façon. Même si je refuse de me l'avouer, en général. Les semaines à venir ne vont pas seulement être fatigantes pour toi. C'est à moi qu'on a confié la charge de te faire découvrir tout ce que tu ne connais pas encore. Et crois-moi, on a du pain sur la planche.

- Dans ce cas..., fis-je semblant de comprendre, affichant une moue sceptique.

Je n'étais pas idiote. Il venait tout juste de m'assurer il y a cinq minutes qu'il se sentirait capable de veiller encore un bon bout de temps avant que la fatigue ne le rattrape pour de bon. Je me demandai si c'était mon sale caractère qui l'avait poussé à renoncer à rester en ma compagnie plus longtemps qu'il ne lui était nécessaire. Certes, nous serions dans la même chambre, mais au moins, une fois endormie, il n'aurait plus à supporter mon sens de l'humour – même si j'étais assez d'accord avec Freeman (eh oui, c'était possible), cela relevait plus du cynisme qu'autre chose dans mon cas. Je tâchai donc d'accéder à son souhait – il avait déjà fait pas mal de concessions en ce qui me concernait, après tout. Mais un détail retint mon attention et me retarda par la même occasion.

- Excuse-moi, mais tu n'aurais pas un truc à me prêter ? lui demandai-je en constatant que je ne pouvais tout bonnement pas me débarrasser de mon haut et me coucher comme ça.

J'avais purement et simplement oublié l'état dans lequel j'étais depuis l'intervention de Brooke. Je ne savais pas comment je m'y étais prise pour réussir à occulter cette désagréable sensation de fraîcheur humide – je n'avais jamais supporté d'avoir des vêtements mouillés sur le dos. Même si je ne considérais pas exactement comme un « vêtement » cette fichue chemise d'hôpital que je portais auparavant.

- Je suis désolé, je n'ai rien d'autre sous la main, s'excusa-t-il, affichant une mine contrite. Tout ce que tu portes provient directement de la garde-robe de Brooke. Même tes dessous sont les siens, en fait.

Je grimaçai, envahie par un méchant doute.

- Eh, ne fais pas cette tête, c'est Sherry qui s'est occupée de te mettre à l'aise quand tu es sortie de ton C.E.S et que tu as atterri à l'Iron, se défendit-il en levant les deux mains devant lui.

Trois choses retinrent mon attention. Tout d'abord, le soulagement qui déferlait en moi tel une vague, à l'idée que la personne qui s'était occupée de moi soit bel et bien une fille. Ensuite, le fait que le nom de l'intéressée ne me soit pas totalement inconnu. Il avait été gentiment mentionné au passage par le fameux Matt. Je me souvenais vaguement que ce dernier avait fait allusion à sa psychologie « à deux francs ». Cela impliquait-il qu'il s'agisse d'une personne gentille, contrairement à lui et à ses trois copains ? Je décidai que je ne m'y intéresserais qu'après avoir rencontré la dénommée Sherry en personne.

Je m'attachai alors au dernier point qui m'avait interpellée. Un terme que Gabriel n'avait pas été le premier à employer devant moi. Le professeur Kendra s'en était chargé avant lui, au cours de ce que j'avais cru être la signature de mon arrêt de mort. Le C.E.S. Mon C.E.S. Devais-je lui demander ce que cela signifiait ? Ou devais-je me contenter de prendre mon mal en patience et d'attendre que la réponse ne vienne d'elle-même, d'une manière ou d'une autre ? Je décidai de m'en tenir à cette dernière option. Il serait toujours temps de changer d'avis d'ici à demain, ou bien dans quelques jours.

- Tu veux que j'aille demander à l'une des filles de te prêter quelque chose ? me proposa-t-il enfin.

- Non, ça ira, m'empressai-je de lui répondre, peu désireuse de devoir affronter les réflexions de l'heureuse élue le lendemain matin. Je préfère autant rester comme ça.

- Ce n'est pas très judicieux, tenta-t-il de me raisonner alors que je roulais déjà ma manche sur elle-même.

- Bonne nuit, fis-je en me glissant dans le lit, encore toute habillée.

Je me tournai vers le mur et ne restai même pas éveillée suffisamment longtemps pour voir la lumière s'éteindre. Je ne m'étais pas entraînée à ce jeu-là autant de temps pour rien, après tout.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant