Je tournai à contrecœur la tête vers mon interlocuteur et une vague de haine déferla de nouveau en moi. Je croyais pourtant avoir épuisé mes réserves en la matière, aujourd'hui. Lorsque Taylor et Riley se levèrent pour regagner le fond de la pièce, Enrique prit la place de la première et se pencha vaguement en avant pour me détailler. Je ne répondis pas à ce qu'il venait de dire. J'étais certaine qu'il avait conscience du malaise qui s'était installé – mon sourire s'était trop brusquement effacé. Je me concentrai sur mon bol et continuai à manger plus lentement. Gabriel posa discrètement sa main sur mon poignet – lui aussi avait compris que quelque chose n'allait pas entre son camarade et moi.
- Ouais, je suis d'accord avec toi, renchérit une autre voix.
J'en lâchai la cuillère dans mon bol, éclaboussant mon petit groupe au passage. Pas ça, pas maintenant ! Je n'arrivais pas à croire que le quatuor commençait déjà à se reformer. Je relevai une nouvelle fois la tête, pas certaine de réussir à me contrôler encore bien longtemps. Les coups que j'avais reçus me faisaient toujours mal, mais je sentais que la douleur refluait pour laisser place à autre chose. L'adrénaline. Non, m'intimai-je fermement. Je n'allais pas me mettre à frapper tout le monde. Tant que je n'aurais pas à me défendre, il serait hors de question que je lance les hostilités. Ça, c'était la règle. Mais je ne fus plus aussi sûre de vouloir la respecter sur le moment.
- On n'a pas encore été présenté, continua le nouvel arrivant avec un sourire narquois en s'asseyant à côté de son copain.
- Je n'ai pas été présentée à beaucoup de monde, trouvai-je la force de lui répondre.
- On fait un tour de table ? proposa-t-il aux autres. Qu'est-ce que vous en dîtes ?
- Je n'ai rien contre, mais je ne suis pas certaine qu'elle en retiendra la moitié, fit observer Santana.
- De toute manière, on doit aller à l'entraînement, décréta un garçon qui devait bien mesurer au moins deux mètres de haut.
Je n'eus pas besoin de plus d'une seconde pour me rendre compte qu'il ne m'était pas complètement inconnu. Évidemment, c'était au tour de l'abruti de service. Je me crispai davantage et vis mon poing se serrer. Mes jointures blanchirent de façon inquiétante. Si le quatrième faisait irruption devant moi avant la fin de la matinée, il risquait d'y avoir un drame. La poigne de Gabriel me fit néanmoins revenir à la réalité. Les tables venaient de se vider presque entièrement, et je vis le groupe se diriger vers l'une des portes du fond. Il ne restait vraiment plus beaucoup de monde dans la salle.
- Tu feras les présentations avec eux plus tard, assura Matt. Il avait peut-être l'air pressé de partir mais ce n'est pas à cause de toi, rassure-toi. Quand il s'agit de devoir frapper quelqu'un, Sam est toujours le premier à être à l'heure. Bon, je commence. Moi, c'est Matt.
Il passa la main à son camarade.
- Enrique. Mais on se connaît déjà, non ?
Je ne répondis évidemment rien. Santana prit le relais avant de le passer à la fille qui était sur sa gauche. Celle-ci faisait évidemment partie de la même famille que les deux autres filles à côté d'elle – celles qui me faisaient presque face et qui m'inquiétaient légèrement depuis le début. Elles étaient extrêmement semblables, arborant toutes les trois une longue chevelure ébène et le même regard bleu limpide qui ressortait d'une étrange manière sur leur peau sombre. Elles devaient certainement être très grandes, au moins autant que Sam – même assises, elles détonnaient parmi leurs camarades.
- Athéna, se présenta-t-elle.
Sa voix légèrement voilée était agréable à entendre. Il émanait une drôle d'aura de sa personne. Je m'attachai à détailler ses yeux décidément captivants – leur couleur était complètement déconcertante.
- Je m'appelle Planetes, poursuivit finalement la jeune femme qui se tenait à ses côtés.
Elle semblait presque avoir tergiversé à donner son prénom. Même s'il sonnait d'une manière très étrange, je ne voyais pas d'où elle pouvait tirer son hésitation.
- C'est vraiment joli, assurai-je, sincère. D'où ça vient, exactement ?
- Mes sœurs et moi-même, nous avons des ascendances grecques, expliqua-t-elle. Ça tient à notre histoire.
- Vraiment ?
- Tu sais... Nos parents étaient comme nous, de la même nature. Mais la différence, c'est qu'eux l'ignoraient complètement.
Elle avait dit cela avec amertume. Je devinai facilement ce qui leur était arrivé. Sinon, pourquoi seraient-elles là aujourd'hui ?
- Mon père et ma mère ont survécu à une première attaque des Cérébrals autrefois, sans vraiment comprendre ce qui leur arrivait. Ils ont fui en emportant Athéna avec eux. Je suis née peu de temps après. Ils m'ont appelé Planetes, « vagabonde » dans notre langue, puisque c'était exactement la vie qu'ils menaient et celle que je devrais mener à mon tour.
Elle baissa la tête et s'absorba dans ses pensées. Un long silence plana. Je m'exhortai à chasser le malaise qu'avait apporté ma question, mais n'y parvint cependant pas.
- Moi, c'est Fantasia, intervint la dernière jeune femme de la fratrie au bout d'une longue minute.
Je n'osai rien lui demander, cette fois. Elle n'avait pas l'air encline à me répondre, de toute manière.
- En grec, ça signifie « apparition », me renseigna Athéna, comme si elle avait entendu ma question muette.
- Oui, mes parents s'attendaient à tout sauf à avoir un troisième enfant, rétorqua l'intéressée, à la fois triste et amère. Au bout d'autant d'années... Mais à quoi ça nous avance de te raconter tout ça, de toute manière ?
Fantasia se leva et s'éloigna à son tour, suivie de près par la plus jeune de ses deux grandes sœurs. Athéna ne tarda pas à les imiter.
- Je ne voulais pas les mettre mal à l'aise, je...
- Ne t'en fais pas, elles sont toujours comme ça, me rassura Dani. Enfin, je veux dire, elles n'aiment pas parler de leur famille, en général. Mais on leur a tous posé la question au moins une fois.
- Passe à autre chose, me conseilla Matt.
Je lui jetai un regard méprisant. Je ne m'étais jusque-là pas attardée sur son physique, peu désireuse de perdre mon self-control si je le regardais bien en face. Ses cheveux blonds coupés relativement courts étaient en bataille. La couleur bleue de ses yeux tirait presque sur le vert – on aurait dit que l'eau d'une rivière coulait dans ses prunelles. Son visage avait une certaine finesse, presque féminine, néanmoins contrebalancée par la maturité que l'on y lisait. Si je n'avais pas vécu cette expérience avec lui, j'aurais presque pu croire qu'il était le genre de personne propre à inspirer confiance – peut-être pas de la même manière que Gabriel, c'est vrai, mais il semblait tellement plus réfléchi lorsqu'il n'ouvrait pas la bouche... C'en était déconcertant.
- Eh ! Quelqu'un sait où est Katherine ?
Je sursautai violemment et me retournai vers l'entrée d'où j'avais émergée un peu plus tôt. Une main appuyée sur le mur et son autre bras fermement enroulé autour de son ventre, le jeune homme qui venait de s'exprimer haletait faiblement.
- Déjà de retour ? s'étonna Enrique en se levant pour le rejoindre, à l'instar de tous ceux qui étaient attablés.
Je me décidai à suivre le mouvement, même si j'ignorais totalement pourquoi.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
Ficção CientíficaEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...