Il réfléchit un instant avant de rouvrir son armoire. Je m'intéressai d'un peu plus près à l'agencement de celle-ci. Il y avait une étagère sur le haut, séparée en deux parties distinctes – je notai que celle de gauche supportait l'essentiel de ses affaires pliées, tandis que celle de droite était vide. Plusieurs vestes et jeans étaient suspendus en dessous, complètement poussés sur la gauche. Il s'était visiblement déjà préparé à mon arrivée.
Je fus surprise lorsque je le vis sortir un drôle d'engin en bois creux, que ses effets suspendus m'avaient dissimulés. De fines cordes étaient attachées sur un long manche qui se terminait d'une drôle de manière. Un instrument, me souvins-je. J'avais déjà vu celui-là sur une photo quelque part, mais je n'arrivais plus à me souvenir exactement de quoi il s'agissait.
- C'est un violon ? m'enquis-je, même si je pressentais l'énormité de ce que je lui demandais.
Sans surprise, Gabriel éclata de rire.
- Excuse-moi, finit-il par articuler. Mais ce n'est pas un violon, c'est une guitare.
- Oh !
C'était donc ça, une guitare ? J'éprouvai une extrême confusion lorsque je fouillai dans ma mémoire pour comprendre comment j'avais pu me tromper sur une chose pareille. Les chocs électriques n'avaient pas dû me faire que du bien.
- Joue quelque chose au lieu de te moquer de moi, ordonnai-je en me retenant d'y ajouter la grimace qui allait avec.
Je me plongeai momentanément dans mes pensées en réalisant la situation dans laquelle je me trouvais. Trois quarts d'heure plus tôt, je me réveillais avec la certitude que je n'en aurais plus pour très longtemps et je faisais également la rencontre – véritable – d'un être humain. Je venais enfin de découvrir mon histoire, chose que j'attendais depuis toujours. Et j'avais réussi, en moins de cinq minutes, à nouer ce que j'espérais être une future bonne entente avec Dani, et ce que je désespérais de voir comme étant une future rivalité qui n'aurait jamais dû naître – du moins, pas si vite – entre Brooke et moi. Tout ce qui m'entourait ne me paraissait déjà plus aussi étranger, alors que je venais tout de même de passer ces dix-sept dernières années enfermée dans une gigantesque pièce blanche et nue. Ma capacité d'adaptation m'étonnait moi-même – mais ne me déplaisait pas pour autant.
Je constatai enfin que je ne me sentais pas aussi mal que j'aurais pu le penser en la compagnie de Gabriel. J'avais eu dès le début du mal à le considérer comme un ennemi. J'avais même espéré qu'il soit une sorte d'allié – même si je me rendais compte que je n'étais pas censée en avoir besoin.
- Tu rêves ? m'interrogea-t-il tout-à-coup, interrompant ma réflexion.
- Excuse-moi. Tu n'as qu'à t'installer ici, fis-je en désignant le coin du mur. Tu seras toujours mieux sur le lit que par terre avec ce machin sur toi.
Gabriel obtempéra et s'installa en tailleur dans le renfoncement, le plus loin possible de moi pour ne pas empiéter sur mon espace. Il semblait avoir compris mon désir de garder mes distances avec tout et tout le monde, au moins pour un certain temps. Il passa la bandoulière autour de son cou et glissa son bras dedans.
- À quoi ça sert ces drôles de trucs ? m'enquis-je, dépassée que celui qui ait pu se pencher sur le design de cet instrument ait accepté de coller ce genre de choses au bout du manche.
- À accorder, expliqua-t-il. Si tu ne le fais pas de temps en temps, tu ne produiras pas exactement le même son qu'en temps normal. Ce sera même franchement risible.
Il réfléchit un instant, comme s'il cherchait ce qu'il allait faire, avant de tordre les doigts de sa main gauche d'une drôle de manière. Je retins mon souffle, désireuse de correctement entendre ce qui allait suivre. Je n'avais jamais entendu de musique de ma vie.
Dans le silence pesant qui s'était installé, les premiers accords retentirent avec une incroyable douceur. Je m'émerveillai devant un tel prodige. Au bout de seulement quelques secondes, je fus surprise d'entendre la voix de Gabriel s'élever en harmonie avec la mélodie.
I've heard there was a secret chord
That David played, and it pleased the Lord
But you don't really care for music, do you?
It goes like this
The fourth, the fifth
The minor fall, the major lift
The baffled king composing Hallelujah...
C'était... magnifique. Réellement magnifique. Gabriel avait une très belle voix. La façon dont il racontait cette histoire était tout bonnement enchanteresse. Désormais, je savais. Je savais que la musique représenterait tout pour moi à compter de ce jour. Certainement, il devait y en avoir de la bonne comme de la mauvaise, mais je savais que cette chanson me resterait à jamais gravée dans la mémoire. Elle serait le symbole de mon éveil.
Je me demandai comment j'avais pu vivre si longtemps en ignorant complètement l'existence de ce cadeau du ciel. Lorsque mon camarade s'attaqua au refrain, je posai ma tête contre le mur et fermai les yeux. Au bout de quelques secondes seulement, Gabriel arrêta brutalement de jouer, ses mains plaquées sur les cordes.
- Ça va ? s'inquiéta-t-il.
Combien de temps allait-on encore me le demander ? C'était au moins la troisième fois en à peine une heure!
- Continue, s'il te plaît, répondis-je simplement en essuyant du revers de la main la larme traîtresse qui venait de rouler sur ma joue.
Je n'avais que très rarement pleuré dans ma vie, n'ayant jamais réellement eu de motifs pour en arriver là. J'avais été en quelque sorte conditionnée sur cet aspect-là aussi. La peur avait déjà réussi à me mener sur ce chemin – je m'étais sentie au bout de mes forces durant ma rencontre avec les quatre cinglés au cours de cette fameuse nuit. Toutefois, la situation actuelle était très différente. Alors que j'avais toujours été certaine d'avoir pleinement conscience de ce que je ratais en menant une vie dans un endroit pareil, je commençais à peine à soupçonner l'ampleur du néant qui m'entourait – et dans lequel je me serais invariablement abîmée si j'avais dû vivre de cette manière une seule année de plus. Mon amour soudain pour quelque chose que je ne connaissais que depuis quelques secondes à peine allait bien au-delà de la musique elle-même. Je pressentais qu'elle serait la porte qui s'ouvrirait sur le chemin de ma véritable vie. Alors, que Gabriel assiste ou non à ma faiblesse, peu m'importait au fond.
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PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminé
FantascienzaEireen vit depuis toujours dans un Centre de Conditionnement sans en connaître la raison. Lassée de cette vie coupée du monde, elle se voit offrir à son dix-septième anniversaire la chance inespérée d'obtenir des réponses à ses questions. Brusquemen...