13. RENDEZ-VOUS EN ENFER (PARTIE II)

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Nous avions tous convenu d'un commun accord qu'il serait préférable que Gaby et moi partions rapidement, sans préciser le moment de notre départ cependant. Partir dans la nuit comme des voleurs n'était peut-être pas exactement ce que Jane et Kyle avait entendu par-là, toujours était-il que nous avions décidé de notre côté de renoncer à la case « adieux », même dans la foulée. Nous étions tous les deux conscients qu'il serait inutile d'essayer de partir à ce moment-là – aucun de nous quatre n'y consentirait. C'est pourquoi nous avions quitté la maison à trois heures du matin, en récupérant discrètement les sac-à-dos préparés deux jours plus tôt. Ne restait plus qu'à espérer qu'ils ne paniqueraient pas et de surcroît, ne nous en voudraient pas, lorsqu'ils s'apercevraient de notre brusque disparition. Le mot que nous leur avions laissé devrait suffire.

- Tu te sens vraiment prête ? me demanda Gabriel, lorsque, après deux jours et demi de voyage, nous fûmes enfin proches de toucher au but.

- Très sincèrement ? Non, avouai-je. Mais je vais devoir le faire, alors...

- Tu te sens de te mettre à pleurer à n'importe quel moment ? reprit-il après une minute de réflexion.

- À ce stade, je suis tellement angoissée et malheureuse que je serais tentée de répondre oui. Mais comme ce n'est pas ma spécialité, je ne peux rien te promettre.

- Ça ne fait rien, remarqua-t-il. Rien qu'avec ta tête, tu pourrais convaincre n'importe qui.

Je me renfonçai dans mon siège, en jetant un regard furtif à mon reflet dans le rétroviseur. Étais-je vraiment si effrayante ? À première vue, ça m'en avait tout l'air.

- C'est le moment de vérité, conclut-il lorsque nous approchâmes de notre « parking » camouflé par la forêt. Et n'oublie pas que, désormais, nous sommes des amoureux transis.

Ce dernier rappel nous arracha à tous les deux un bref sourire, avant que l'ombre de la grotte ne nous engloutisse en son sein. Évidemment, comment aurions-nous pu débarquer ici sans même trouver une explication à notre condition d'Éphémères ? Personne n'étant censé être au courant des détails, nous comptions miser sur le fait que la transition ne s'effectuait pas nécessairement au premier regard. Seul Christian serait à même de douter de ça, en raison de son expérience et de celle du frère décédé de Katherine, Miles. Mais son amitié pour nous – de plus longue date pour Gaby, naturellement – devrait contribuer à nous éviter de voir notre parole mise en doute par un élément aussi important de la communauté.

Gabriel gara l'Audi « empruntée » pour notre voyage, et d'un simple regard, me fit comprendre que la comédie avait commencé. Nos scénarios étaient censés être à l'épreuve des flammes, nous n'avions donc plus qu'à débiter nos textes avec justesse et crédibilité. Mon meilleur ami sortit de la voiture avec empressement et se dépêcha d'ouvrir ma portière pour me prendre dans ses bras, tandis que je feignais l'épuisement total, ce qui ne me demanda pas beaucoup d'efforts non plus. Sous l'œil des caméras, nous sortîmes sous le couvert de la nuit en direction de l'entrée principale de l'Iron. Il me déposa sur mes pieds en me demandant avec mille précautions si je tiendrais le coup – son jeu d'acteur était bluffant de vérité. Je me rappelai à l'ordre en me serinant que je devais cesser de considérer tout cela comme un film, sans quoi notre couverture ne tiendrait pas longtemps. Maintenant, je devais redevenir Eireen Lawrence Ronan Swift, et durablement encore.

Mon ami me fit descendre avec adresse sur la surélévation rocheuse au fond du tunnel, qui nous permettait en général de sortir facilement. Il attendit que je fasse quelques pas pour descendre comme un cascadeur émérite – ce dont il ne semblait pas se rendre compte, au demeurant. Il me reprit dans ses bras, et je ne pus m'empêcher de penser à ce que dirait Skyler en constatant cette proximité volontaire, bien qu'il se soit résolu à accepter ce détail obligatoire de notre longue explication à fournir. Nous coupâmes par la salle d'entraînement, logiquement désertée à cette heure avancée, pour rejoindre le réfectoire, où nous ne doutions pas que nous alimentions encore les conversations. Mon corps se contracta à la seule idée de revoir tous ces visages à la fois familiers et étrangers, autrefois amis et désormais ennemis. Je m'accrochai au cou de Gaby comme une damnée pour ne pas craquer et nous plongeâmes dans la lumière crue des néons, sous la voûte en lierre proprement gigantesque du QG.

PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant