11. L'OEIL DU CYCLONE (PARTIE II)

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Skyler ouvrit la marche et m'attira à sa suite. Nous débarquâmes dans un intérieur d'apparence normale, truffé non seulement de cartons débordant de documents, mais également d'écrans d'ordinateur en tous genres. J'étais prête à parier qu'il s'agissait de ce genre de maison comme dans les films d'espionnage où si vous aviez le malheur de forcer l'entrée, une bombe se déclenchait pour vous renvoyer à la poussière, vous et toutes les preuves qui devaient être entreposées dans le coin. Le type qui nous avait ouvert la porte la referma après maintes et maintes opérations incluant de taper sur un clavier, avant de se retourner vers nous. Il avait tout sauf le profil de l'emploi. Là où nous aurions dû trouver un geek aux cheveux courts avec des lunettes – et pourquoi pas, quelques boutons, derniers vestiges d'une adolescence récente – je découvrais en réalité un homme qui devait avoir aux alentours de vingt-cinq, trente ans, de longs cheveux blonds qui lui arrivaient à mi-hauteur du dos et une silhouette de quarter-back. Et je pouvais en juger sans mentir, vu qu'il ne nous avait pas encore fait l'honneur de mettre un tee-shirt. Il en attrapa un jeté sur le dos d'une chaise et l'enfila promptement, avant de se diriger vers Skyler.

- Je suis content de te revoir, vieux, déclara-t-il avec un soulagement évident.

Ils se donnèrent l'accolade.

- Moi aussi, Hush, répondit-il avant de se tourner vers moi pour m'inviter à approcher. Elle, c'est Eireen.

- Ta fameuse copine, opina-t-il en me tendant la main. Alors, tu l'as enfin trouvé, comme ça ?

- Hush, le saluai-je avec réserve.

Qui pouvait bien porter un nom pareil ?

- Je suis content qu'il t'ait retrouvée, reprit l'autre en croisant les bras. À chaque fois qu'il passait par ici pour partir à ta recherche, j'avais peur de le croiser pour la dernière fois.

- Les choses vont rentrer dans l'ordre, maintenant, assura Skyler en m'attirant par la taille.

- N'allez pas croire que je ne suis pas ravi de vous voir, mais je suppose que vous n'êtes pas venus sans une bonne raison, je me trompe ?

- Je ne te cache pas qu'on aurait besoin d'un endroit où dormir, cette nuit, reconnut-il en plissant les lèvres. Et j'ai des infos de dernière minute qui pourraient nous être utiles.

- Source fiable ? demanda l'autre en haussant les sourcils d'un air vaguement inquiet.

- La plus fiable qui soit, répliqua Kyle en me regardant dans les yeux.

- Je vois, convint Hush en nous invitant à le suivre. Passez par-là, ajouta-t-il en faisant pivoter un miroir mural qui dissimulait en réalité une ouverture. Toutes les maisons sont en réseau dans ce quartier – enfin, à ce niveau, du moins. Et désertes, en ce moment. C'est l'avantage de s'établir dans un quartier dans lequel personne ne désire s'installer. Allez savoir pourquoi.

Je haussai les épaules, bien qu'intérieurement, j'étais à même de comprendre ce choix. Moi aussi, au premier abord, j'avais ressenti un drôle de malaise dans cette rue.

- Installe-là et viens me rejoindre pour discuter après.

- Ça marche, assura mon compagnon en me faisant passer la première. Tu verras, tu vas enfin pouvoir prendre une vraie douche.

Je n'étais effectivement pas mécontente d'oublier pour un temps ces espèces de lingettes désinfectantes distribuées dans le motel que Skyler avait occupé avant qu'il ne me retrouve.

- Eh, l'interpella son ami, n'oublie pas ça !

Il rattrapa au vol le rouleau de chatterton noir que Hush venait de lui lancer.

- Merci, vieux.

- Tu m'expliques ? exigeai-je en haussant les sourcils.

- Plus tard, pouffa-t-il en refermant derrière lui.

Nous atterrîmes dans une petite pièce carrée de trois mètres sur trois, rattachée à une modeste salle de bain qui conviendrait parfaitement. Skyler se débarrassa de son sac sur le lit et prit une chaise rangée dans un coin de la pièce, avant de grimper dessus pour se mettre au niveau d'une caméra de surveillance qui avait échappé à ma vigilance. Il défit un long morceau de chatterton qu'il trancha, avant de méthodiquement l'enrouler autour de l'objectif. Une fois fait, il reposa le rouleau sur la table de nuit.

- Tu ne lui fais pas confiance ? m'étonnai-je, déconcertée par son petit manège.

- Tu sembles oublier que c'est lui qui me l'a donné.

- Quel intérêt dans ce cas ?

- Mesure de précaution, expliqua-t-il en se débarrassant de sa veste à capuche sur le couvre-lit. Il l'a déjà éteinte, mais au moins, comme ça, il n'y a aucun risque d'erreur ou que ça tourne mal. C'est la manière d'Hushnan de nous témoigner sa bonne foi. On est constamment surveillé dans sa baraque, sauf à l'endroit où il nous a caché. Grâce à lui, c'est comme si on n'existait plus. Pendant un temps, du moins.

- Je vois.

- Profites-en, me conseilla-t-il en désignant la salle de bain, avant de poser un baiser sur mon front. Hush est vraiment un ami. Tu n'as rien à craindre.

Je voulais bien le croire. Maintenant que je connaissais son nom entier, j'avais pu établir le lien entre le type que je venais de rencontrer et l'un des deux mystérieux contacts téléphoniques de mon compagnon à l'époque où nous nous étions rencontrés. Vu qu'il faisait partie d'un cercle visiblement très restreint, j'étais prête à croire le fait qu'il devait être une très ancienne connaissance.

Kyle repartit d'où il était venu pour aller rejoindre son camarade, tandis que je me dirigeais vers le sac pour y dénicher des affaires propres – je comprenais mieux à présent pourquoi il s'était encombré de ce bagage en descendant de la voiture. Puis, sans même jeter un coup d'œil à mon reflet en entrant – mais en prenant bien soin de vérifier qu'il n'y avait pas d'autres caméras dans la pièce – je me débarrassai résolument de mes affaires et entrai sous l'eau chaude. Le jet brûlant parvint à m'éclaircir les idées. Je me surpris à penser que nous serions bien ici, peu importe le temps que ce répit durerait. J'avais l'impression d'être coupée du monde, dans un endroit dont personne ne connaissait l'existence. Ce sentiment d'être à l'abri, d'être en sécurité, ne m'avait plus gagné de cette manière depuis bien longtemps. Le seul endroit où je m'étais sentie à l'aise durant ma période « lavage de cerveau » avait été la chambre que je partageais avec Gabriel. Mais là encore, nous étions loin d'être hors du temps. Au contraire, nous étions toujours rattrapés par nos obligations. Ici, tout était très différent. Il s'agissait plus que d'une simple impression d'accalmie – j'avais la sensation d'être dans l'œil du cyclone. Après que la tornade ait tout dévastée sur son passage – qu'il s'agisse de tout ce que j'avais cru comprendre jusqu'ici, des liens qui entravaient mon esprit, ou bien même de mon amitié avec Gabriel, seule personne sur qui j'avais réellement pu compter et à laquelle j'avais dû faire mes adieux –, je cessais enfin de me sentir ballotée au gré d'un tourbillon infernal et flottais désormais dans une zone de calme. Si seulement cet instant avait pu durer toujours...


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant